Le cerveau des autistes est bel et bien distinct
Par Benje le samedi, avril 16 2011, 21:03 - Nouvelles Scientifiques - Lien permanent
Source: Mathieu-Robert Sauvé - Université de Montréal
Les autistes viennent au monde
avec une sensibilité perceptuelle exceptionnelle qui les propulse parmi
les êtres humains les plus aptes à saisir des structures ou régularités
perceptives. Une habileté qui ne s'acquiert qu'au terme d'un long
entrainement chez les personnes non autistes... lorsqu'elle ne va pas
carrément au-delà de ce qu'un non-autiste surentrainé peut accomplir.
«Tous les parents ont donné à leur enfant un jouet dans lequel il doit
faire entrer un objet de
forme géométrique dans le trou correspondant. À un autiste en bas âge,
il faudrait présenter un jouet contenant 50 objets avec autant
d'orifices», fait observer Laurent Mottron, directeur d'une équipe qui a
présenté à la presse internationale les résultats de travaux sur le
sujet la semaine dernière.
Au terme d'une réinterprétation de plus de 26 études, dont l'une menée
par cette même équipe du Centre d'excellence en troubles envahissants du
développement de l'Université de Montréal, les chercheurs ont localisé
un endroit dans le cerveau qui semble orchestrer cette hypersensibilité.
«Les régions temporale et occipitale du cerveau des autistes s'activent
plus que chez les sujets non autistes quand on leur demande de regarder
des formes, qu'il s'agisse de visages, d'objets ou de mots. Ces régions
sont traditionnellement associées à la perception et à la
reconnaissance des objets», indique la première auteure, Fabienne
Samson, qui vient de déposer sa thèse en sciences biomédicales et qui poursuit un postdoctorat à l'Université Queen's, en Ontario.
«Nous disposons maintenant d'un énoncé solide sur le fonctionnement du
cerveau des autistes qui permet d'investiguer sur la perception,
l'apprentissage, la mémoire et le raisonnement chez ces personnes»,
ajoute M. Mottron, qui s'intéresse à l'autisme depuis plus de 25 ans.
En entrevue, le professeur d'origine française explique qu'il a toujours
nourri la conviction que ceux qu'on appelle autistes savants avaient un
sens inné de la reconnaissance des formes - et possiblement de certains
sons, sujet de thèse de Mme Samson. Ce phénomène laisse penser que les
autistes traitent l'information visuelle de façon différente que le font
les sujets non autistes. En plongeant dans les données recueillies auprès de 357
autistes et autant de non-autistes entre 1995 et 2009, les chercheurs
ont constaté que les autistes utilisaient davantage les régions du
cerveau liées à la perception visuelle que les non-autistes. À son avis, «l'autisme pourrait être décrit comme une supériorité perceptive plutôt que comme un déficit social».
Point tournant
Pour les équipes de recherche dans le monde qui se penchent sur ce phénomène exceptionnel, la découverte publiée dans Human Brain Mapping, revue majeure en imagerie médicale, pourrait constituer un point tournant de par sa généralité et sa robustesse. «Beaucoup de
choses sont vraies dans l'autisme, mais pour une fraction des gens
atteints seulement. Par exemple, l'autisme est lié à une augmentation du volume
de la tête, mais cela ne concerne que 30 % des cas, relate M. Mottron.
D'autres pistes sont explorées, mais elles s'avèrent peu fiables
lorsqu'on les teste sur de vastes populations. Même l'explication
génétique - que nous ne récusons pas, au contraire - est beaucoup plus
complexe qu'on l'a cru. Il y aurait une multitude de gènes en cause et
peu sont présents chez plus de un pour cent des autistes.»
La méta-analyse a consisté en une synthèse des recherches actuellement
accessibles en imagerie relativement à des tâches comportant des
stimulus visuels. Toutes les recherches présentant du matériel visuel,
peu importe la tâche qui était demandée aux participants (raisonnement,
lecture, discrimination d'expressions faciales) étaient retenues. Il
s'agit, selon Mme Samson, d'une approche beaucoup plus exigeante qu'une
simple revue de la littérature, puisqu'on a effectué une analyse
quantifiée de toutes les données disponibles dans le monde dont la
qualité était satisfaisante et qui comportaient une information
visuelle.
Tout se passe comme si les tâches confiées en laboratoire aux autistes
étaient traitées de manière différente sur le plan cérébral mais avec un
succès équivalent, ou parfois supérieur, à celui obtenu par les
non-autistes. Ainsi, au test de raisonnement de Raven, où le sujet doit
compléter une matrice de formes reliées par des règles logiques, plus la
tâche est difficile, plus la rapidité et l'efficacité des autistes se
distinguent de celles des non-autistes.
Alors que les sujets non autistes doivent d'abord saisir l'image dans la
partie de leur cerveau consacrée à la vision, puis la relayer au cortex
préfrontal, spécialisé dans la pensée planifiée et explicite, les
sujets autistes peuvent faire une plus grande partie du travail dans
cette zone cérébrale vouée à la vision et à la perception.
Selon la neuropsychologue Isabelle Soulières, de l'hôpital
Rivière-des-Prairies, qui a également participé à la recherche, une
connaissance plus approfondie de l'autisme permettra aux spécialistes de
la réadaptation de mieux définir leurs interventions. «Je crois qu'on
peut offrir aux autistes de meilleures méthodes pédagogiques pour mettre
en valeur leur potentiel. Pour moi, ils ont surtout une intelligence
différente de celle de la majorité de la population», dit-elle.
Outre les signataires cités, l'article, intitulé «Enhanced visual
fonctioning in autism: An ALE meta-analysis», a mis à contribution
Thomas Zeffiro, du groupe de recherche Neural Systems Group du
Massachusetts General Hospital, affilié à l'Université Harvard.