Source: Daniel Baril - Université de Montréal

Consacrer sa vie à soulager la souffrance d'autrui nécessite une bonne dose d'empathie, cette faculté de pouvoir se mettre à la place de l'autre et d'éprouver ce qu'il ressent. Les mécanismes neuro-biologiques à la base de cette habileté complexe commencent à être mieux compris, surtout en ce qui concerne les zones corticales activées en situation d'empathie.

«Lorsque nous voyons une personne dans une situation douloureuse, les zones cérébrales qui s'activent dans notre cerveau sont sensiblement les mêmes que celles qui entrent en fonction quand nous subissons nous-mêmes cette épreuve, explique Étienne Vachon-Presseau. Mais aucune étude n'avait jusqu'ici cherché à clarifier si l'empathie augmente la réactivité ou potentialité des différents systèmes neurologiques qui engendrent la souffrance chez l'observateur.»

C'est la question à laquelle il s'est intéressé dans ses travaux de doctorat réalisés au Département de psychologie de l'Université de Montréal sous la codirection de Pierre Rainville, professeur au Département de stomatologie, et de Philip Jackson, professeur à l'Université Laval.

Douloureuse empathie !

La sensation de douleur met à contribution le système nerveux périphérique, le système nerveux central, le système moteur, les émotions et, dans le cas de l'empathie, le système de représentation de soi et des autres. «Les mécanismes de rétraction, lors d'une blessure à un membre, sont dits de bas niveau alors que l'interprétation des intentions ou des émotions de l'autre repose sur un processus cognitif de haut niveau», précise le chercheur.

Pour mieux comprendre ce processus en situation d'empathie, Étienne Vachon-Presseau a présenté à une cinquantaine de sujets une série de photos de mains et de pieds dans un contexte de douleur, comme des doigts coincés dans une portière d'automobile, ainsi que des visages exprimant de la souffrance. La série comprenait un nombre égal d'images neutres de membres et de visages.

La présentation de chacune de ces photos était suivie d'un choc électrique administré sur le nerf sural, un nerf de la cheville qui active le réflexe de retrait du pied en cas de douleur. Les sujets devaient évaluer l'intensité de la douleur ainsi que son niveau de désagrément, et des mesures électrophysiologiques de l'intensité de ce réflexe ont été enregistrées.

«Nous voulions ainsi savoir si le choc électrique allait être ressenti intensément avec les images de douleur qu'avec les images neutres», souligne Étienne Vachon-Presseau.

Les données montrent que c'est effectivement ce qui s'est produit. Même si l'intensité du choc électrique était constante, les sujets ont eu l'impression qu'elle était plus élevée après une image de mains et de pieds dans une situation à connotation douloureuse. Cette impression est encore plus forte en ce qui concerne le désagrément ressenti, c'est-à-dire la dimension émotionnelle de la douleur. Les mesures du réflexe nerveux montrent elles aussi une réaction nettement plus vive suscitée par les photos de membres accidentés.

Cette différence n'a toutefois pas été observée pour ce qui est des visages, ce qui s'expliquerait par les zones différentes activées selon le type de photos. «Le réflexe de retrait du pied est un mécanisme instantané et de bas niveau qui n'a pas besoin du cerveau pour se produire parce que le centre de cette réaction est dans la moelle épinière, dit l'étudiant. La perception d'un pied ou d'une main n'a pas besoin d'un traitement de haut niveau; la situation est décodée rapidement par le cerveau. Mais il n'en va pas de même pour les expressions faciales des émotions, qui nécessitent une interprétation de haut niveau avant de pouvoir exercer un effet sur la sensation de douleur.»

Contrôle de la douleur

Les mesures du degré d'empathie obtenues par questionnaire auprès de chacun des sujets indiquent très clairement que plus la personne obtient un score élevé, plus son réflexe de retrait est prononcé. Mais le résultat le plus inattendu restait à venir. Alors que les chercheurs s'attendaient à relever le même rapport entre le niveau d'empathie et l'intensité de la douleur ressentie, la corrélation s'est plutôt inversée: plus on est empathique, moins la douleur parait grande.

Une autre étude de même nature effectuée par Jean-Philippe Mailhot, étudiant en psychologie, arrive à la même constatation quant au rapport entre le désagrément et l'empathie. «À notre avis, cela démontre que les personnes très empathiques parviennent à maitriser leur sensation de douleur, avance Étienne Vachon-Presseau comme explication. Sans cette maitrise, il leur serait sans doute impossible de porter attention à autrui parce que l'épreuve serait pour elles trop difficile

Ces travaux confirment donc que les images de douleur provoquent bel et bien des réactions dans le système responsable de nos sensations douloureuses, mais que les personnes dont ce système est particulièrement sensible parviennent à contrôler leur propre douleur. «L'empathie repose donc sur un système à multiples niveaux», conclut le chercheur.