Source: CNRS-INSB

Comment nos souvenirs sont-ils conservés sur le long terme ? Dans un article publié le 18 février 2011 dans Science, des chercheurs de l'Institut des Maladies Neuro-dégénératives (CNRS/Universités Bordeaux 1 et 2) viennent de révéler que dès l'encodage d'un souvenir, les neurones du cortex doivent passer par un processus d'étiquetage précoce pour permettre, dans les semaines qui suivent, l'intégration progressive et la stabilisation durable de ce souvenir.

Nos souvenirs ne sont pas acquis dans leur forme définitive au moment de l'encodage. Ils doivent subir un processus de "consolidation mnésique" pour acquérir une stabilité dans le temps. A l'aide d'une approche par imagerie cérébrale fonctionnelle chez la souris, l'équipe de Bruno Bontempi à l'Institut des Maladies Neurodégénératives (IMN) a déjà montré que l'hippocampe est nécessaire à la formation initiale des souvenirs. Cette région sous-corticale du cerveau ne constitue pas pour autant un site de stockage définitif ; ce sont au contraire des zones spécifiques du cortex qui permettent la conservation des souvenirs sur le long terme. Mais comment l'hippocampe parvient-il à orchestrer de façon adéquate le stockage de nos souvenirs au niveau cortical après un apprentissage ?

Dans le but de disséquer précisément la cinétique du dialogue entre l'hippocampe et le néocortex requis pour la consolidation de la mémoire, des rats ont été soumis à une tâche de transmission sociale de préférence alimentaire, dans laquelle un animal naïf "observateur" interagit avec un rat "démonstrateur" qui a préalablement consommé de la nourriture aromatisée (par exemple du cumin). Une interaction brève d'une trentaine de minutes est suffisante pour permettre au rat observateur d'effectuer une association entre différents éléments chimiques présents dans l'haleine du démonstrateur et l'odeur de cumin, lui garantissant que cette nourriture aromatisée est comestible et sans danger. Lorsque le rat observateur est soumis ultérieurement à un choix entre deux nourritures aromatisées (du cumin et du thym), il exprime alors la mémoire de l'association, en choisissant préférentiellement la nourriture familière consommée par le démonstrateur.

Grâce à une étude par imagerie cellulaire du niveau d'activité neuronale, couplée à une approche pharmacologique d'inactivation transitoire, les scientifiques ont d'abord mis en évidence le rôle crucial du cortex orbito-frontal dans le rappel d'informations anciennes (délai de 30 jours), mais pas récentes (délai de 1 jour). Ils ont ensuite montré que le stockage de la mémoire olfactive de nature associative dans cette région cérébrale s'accompagne de changements progressifs de l'architecture des réseaux neuronaux, comme l'augmentation du nombre d'épines dendritiques et la formation de nouvelles synapses. Par ailleurs, un dialogueentre l'hippocampe et le cortex orbitofrontal s'est révélé crucial dans les 15 jours (période précoce) qui suivent l'interaction sociale. Passé ce délai, l'inactivation tardive de l'hippocampe s'avère sans effet sur la performance lors du rappel à 30 jours. Parallèlement, l'inactivation chronique du cortex orbitofrontal au cours de la période précoce a entraîné les mêmes effets délétères à long terme sur les performances mnésiques et sur la plasticité structurale dans cette région. Ces résultats font ressortir l'importance d'une activité précoce conjointe de l'hippocampe et des régions corticales dans le processus de stabilisation des souvenirs à long terme.

Dans une seconde série d'expériences, une inactivation pharmacologique du cortex orbitofrontal au moment de l'interaction sociale a perturbé le rappel à 30 jours et empêché la plasticité structurale au sein des réseaux neuronaux corticaux, normalement associée au stockage à long terme des informations olfactives. Par contre, aucun effet délétère n'a été observé à court terme (délai de 7 jours). Ces résultats indiquent que le cortex orbitofrontal n'est pas nécessaire à l'acquisition de la tâche de transmission sociale, mais qu'un processus d'étiquetage précoce des assemblées neuronales dans cette région est nécessaire à la formation de la mémoire à long terme. Sur le plan cellulaire, des injections de différents agents pharmacologiques dans le cortex orbitofrontal ont montré que ce processus requiert l'activation de récepteurs et de voies de signalisation intracellulaire spécifiques, ainsi que l'acétylation des protéines histones impliquées dans la régulation de l'état transcriptionnel de la chromatine. En modifiant leur état d'acétylation, les chercheurs sont parvenus à moduler le rappel à long terme des informations olfactives de nature associatives. Enfin, ils ont pu mettre en évidence que le processus d'étiquetage cortical est spécifique de l'information encodée et capable de moduler la persistance de la mémoire en modifiant la cinétique temporelle d'activation de l'interface hippocampo-corticale.

Ainsi, ces expériences identifient l'étiquetage neuronal précoce des réseaux corticaux comme étant un processus neurobiologique capital pour la formation de la mémoire à long terme. Bien que l'identité moléculaire des étiquettes corticales reste à préciser, ces travaux ouvrent des perspectives intéressantes quant à l'existence de nouvelles cibles thérapeutiques et au développement de nouveaux traitements, qui visent à palier les déficits cognitifs observés dans les maladies neurodégénératives ou psychiatriques.