Source: CNRS-INSB

En étudiant la fonction de protéines chromosomiques qui régulent de nombreux gènes au cours du développement de la drosophile, une équipe de l'Institut de Génétique Humaine du CNRS vient de découvrir que deux de ces gènes, bien qu'éloignés à l'échelle linéaire du chromosome, sont souvent localisés au même endroit dans le noyau cellulaire lorsqu'ils ne sont pas actifs. Les chercheurs ont appelé ce phénomène le "baiser" des chromosomes. Leur travail, publié dans la revue Cell, montre que ce baiser est impliqué dans le maintien fidèle de leurs états inactifs. Et puisque ces deux gènes ne sont pas les seuls à être co-localisés, il est possible d'imaginer que les baisers des chromosomes contribuent à réguler un nombre considérable de gènes chez de nombreuses espèces.

Ces dernières années, de spectaculaires avancées dans les technologies d'étude de la fonction du génome ont été réalisées. Parmi celles-ci, le fait que la localisation de nos gènes dans l'espace tridimensionnel du noyau cellulaire joue un rôle important dans la régulation de leur expression, est l'une des plus surprenantes. Au delà de la séquence d'ADN du gène, l'architecture chromosomique serait donc un facteur important pour nos cellules. De récentes recherches effectuées chez différentes espèces ont établi l'existence de contacts, ou "baisers" chromosomiques, entre plusieurs gènes très éloignés sur un même chromosome, ou appartenant parfois à des chromosomes distincts. Cependant, le rôle physiologique de ces contacts est longtemps resté incompris: ces baisers constituent-ils un facteur essentiel pour la régulation des gènes ou bien est-ce une coïncidence sans importance ?

Avec la coopération d'André Mas de l'Institut de Modélisation Mathématique de Montpellier (I3M, CNRS/Université Montpellier 2), l'équipe dirigée par Giacomo Cavalli à l'Institut de Génétique Humaine (IGH, CNRS) a étudié, chez la drosophile, la fonction des protéines appelées Polycomb, qui inactivent de nombreux gènes durant le développement des plantes et des animaux. Les scientifiques ont notamment cherché à comprendre comment deux de ces gènes sont maintenus inactifs par ces protéines. C'est en combinant des techniques de microscopie fluorescente permettant de visualiser simultanément la position des gènes et des protéines Polycomb qui s'y lient, que les chercheurs se sont rendus compte d'un phénomène complètement inattendu: bien que distants de millions de paires de bases d'ADN, ces deux gènes se rencontrent régulièrement dans les cellules où ils ne sont pas actifs.

Cette étude a été le point de départ d'une longue analyse, qui a permis de décrire les protéines Polycomb comme des régulateurs des baisers chromosomiques et d'identifier, chez l'un de ces deux gènes, des régions d'ADN spécifiques impliquées dans le phénomène. Puis, en retirant ces régions d'ADN particulières du génome, les chercheurs se sont aperçus que le second gène, bien que localisé à l'autre bout du bras chromosomique, était partiellement dérégulé. Ces travaux montrent que certains baisers chromosomiques jouent un rôle fonctionnel important dans la régulation génique.

Suite à cette découverte, l'équipe a entrepris d'étendre l'étude de ces contacts à d'autres gènes chez la mouche du vinaigre. Car si l'on pensait classiquement que les gènes étaient régulés par des interactions protéines-ADN localisées au début du gène, il est désormais intéressant d'examiner si ces baisers sont universellement impliqués dans la régulation des gènes, et si leur modulation peut avoir un impact dans le diagnostic et le traitement de pathologies comme le cancer.