Source: Mathieu-Robert Sauvé - Université de Montréal

En présentant, dans Nature Reviews Neuroscience, une synthèse de 104 articles publiés depuis cinq ans sur l'action des neurotransmetteurs dans certaines maladies neurologiques, des chercheurs du Canada, de France et de Suède ont permis «une percée dans notre compréhension du cerveau», estime Louis-Éric Trudeau, l'auteur à l'origine de l'article paru ce mois-ci dans la revue britannique.

Le phénomène qu'ils ont mis au jour laisse penser, 80 ans après les premières observations sur le mécanisme de communications des neurones par le Prix Nobel Henry Hallett Dale (1875-1968), que les cellules nerveuses des vertébrés sont très souvent... bilingues. Ils ont appelé cette caractéristique «cotransmission». «On a tous une langue maternelle et nombreux sont ceux qui apprennent une autre langue au cours de leur vie. Pour les neurones du cerveau, c'est la même chose. Ils échangent des informations grâce à certains neurotransmetteurs dont on connait assez bien la fonction. Mais ils peuvent simultanément produire et sécréter une molécule essentielle à la bonne marche du système nerveux, le glutamate. Nous avons surnommé cette propriété "bilinguisme cellulaire"», explique le professeur de la Faculté de médecine de l'Université de Montréal.

Les neurones utilisant comme messagers chimiques la dopamine, la sérotonine et l'acétylcholine correspondent à ce modèle et ils sont associés à des maladies comme le Parkinson, la schizophrénie et la dépression majeure. C'est donc un grand pan de l'activité cérébrale sur lequel on jette un nouvel éclairage.

Le chercheur en neuropharmacologie de 42 ans se positionne sur la scène internationale en signant cet article de 12 pages avec Salah El Mestikawy, Åsa Wallén-Mackenzie, Guillaume M. Fortin et Laurent Descarries. L'article sera sans aucun doute cité dans la plupart des autres recherches sur le sujet au cours des prochaines années. Plus de six mois ont été nécessaires à la rédaction des multiples versions. «Nous avons centré notre analyse sur les études effectuées principalement depuis trois ans, incluant une vingtaine de travaux provenant des laboratoires des signataires», dit le chercheur originaire de Sorel.

Une piste pharmaceutique

Sur le plan thérapeutique, l'avancée des connaissances en matière de bilinguisme cellulaire pourrait permettre la mise au point de procédés capables de modifier le répertoire des messagers chimiques utilisés par les neurones ou de bloquer certains des récepteurs du glutamate, ce qui aurait pour conséquence de ralentir la dégénérescence nerveuse causant la maladie de Parkinson, notamment.

Récemment, l'équipe de Louis-Éric Trudeau, avec la collaboration de celle de Laurent Descarries, a obtenu des Instituts de recherche en santé du Canada une subvention de 170 000 $ par an durant cinq ans afin de suivre cette piste prometteuse. Mais le scientifique met en garde ceux et celles qui espèreraient trouver un comprimé anti-Parkinson à la pharmacie du coin à brève échéance, à la suite de ces découvertes. «Il y a encore bien du chemin à parcourir avant de pouvoir passer seulement aux essais cliniques. Nous sommes à l'étape de la recherche fondamentale

À la tête d'une équipe de sept membres, incluant une agente de recherche et des étudiants au doctorat et au postdoctorat, Louis-Éric Trudeau s'intéresse depuis 15 ans à la dopamine et au fonctionnement d'une région du cerveau en cause dans la maladie de Parkinson, la schizophrénie et la dépendance aux drogues. Son équipe a récemment créé une lignée de souris génétiquement modifiées pour mieux comprendre les liens entre dopamine et glutamate dans les maladies du cerveau. «Des laboratoires qui étudient la dopamine relativement à telle ou telle maladie, il y en a beaucoup. Plus rares sont ceux qui, comme nous, tentent de comprendre les maladies à partir d'une exploration des mécanismes fondamentaux qui régulent la neurotransmission. Comment les neurones à dopamine communiquent-ils en conditions normales et pathologiques ? C'est ce que nous cherchons à savoir.»

L'étincelle de la trousse de chimiste

Il faut remonter à la petite enfance de Louis-Éric Trudeau pour trouver l'étincelle à l'origine de son choix de carrière. «Vers l'âge de 10 ans, j'ai reçu un jeu de chimie en cadeau et je crois que ma fascination pour la science a commencé à ce moment-là.»

Plusieurs années après avoir provoqué des petites explosions dans la cour de la maison familiale à Baie-D'Urfé (soufre, salpêtre, charbon et boum!), le jeune homme a visité un laboratoire. Un professeur du cégep de Saint-Laurent, Jean Desjardins, l'a accompagné dans un véritable centre de recherche universitaire. «Ça m'a fasciné de savoir qu'on pouvait gagner sa vie à mener des recherches sur le fonctionnement du cerveau», relate-t-il.

Après des études en psychologie, il a fait une maitrise en neurosciences en France, puis un doctorat à l'Institut de recherches cliniques de Montréal, pour ensuite poursuivre sa formation aux États-Unis. À son retour, il a ouvert un laboratoire au Département de pharmacologie de l'Université de Montréal. «J'ai connu les méthodes européenne et nord-américaine. Sans vouloir tomber dans les clichés, j'estime qu'on a vraiment, au Québec, le meilleur des deux mondes. De plus, je peux faire de la science en français», mentionne ce père de deux enfants.

À un journaliste de Télé-Québec qui lui a demandé quelle est la plus grande qualité d'un bon chercheur, il a fait cette réponse étonnante: «Il faut être capable de rebondir en cas d'échecs