Nos neurones sont "bilingues"
Par Benje le mardi, avril 26 2011, 06:21 - Nouvelles Scientifiques - Lien permanent
Source: Mathieu-Robert Sauvé - Université de Montréal
En présentant, dans Nature Reviews Neuroscience, une synthèse de
104 articles publiés depuis cinq ans sur l'action des neurotransmetteurs
dans certaines maladies neurologiques, des chercheurs du Canada, de
France et de Suède ont permis «une percée dans notre compréhension du
cerveau», estime Louis-Éric Trudeau, l'auteur à l'origine de l'article
paru ce mois-ci dans la revue britannique.
Le phénomène qu'ils ont mis au jour laisse penser, 80 ans après les premières observations sur le mécanisme de communications
des neurones par le Prix Nobel Henry Hallett Dale (1875-1968), que les
cellules nerveuses des vertébrés sont très souvent... bilingues. Ils ont
appelé cette caractéristique «cotransmission». «On a tous une langue
maternelle et nombreux sont ceux qui apprennent une autre langue au
cours de leur vie. Pour les neurones du cerveau, c'est la même chose.
Ils échangent des informations grâce à certains neurotransmetteurs dont
on connait assez bien la fonction. Mais ils peuvent simultanément
produire et sécréter une molécule essentielle à la bonne marche du système nerveux, le glutamate. Nous avons surnommé cette propriété "bilinguisme cellulaire"», explique le professeur de la Faculté de médecine de l'Université de Montréal.
Les neurones utilisant comme messagers chimiques la dopamine, la
sérotonine et l'acétylcholine correspondent à ce modèle et ils sont
associés à des maladies comme le Parkinson, la schizophrénie et la
dépression majeure. C'est donc un grand pan de l'activité cérébrale sur
lequel on jette un nouvel éclairage.
Le chercheur en neuropharmacologie de 42 ans se positionne sur la scène
internationale en signant cet article de 12 pages avec Salah El
Mestikawy, Åsa Wallén-Mackenzie, Guillaume
M. Fortin et Laurent Descarries. L'article sera sans aucun doute cité
dans la plupart des autres recherches sur le sujet au cours des
prochaines années. Plus de six mois
ont été nécessaires à la rédaction des multiples versions. «Nous avons
centré notre analyse sur les études effectuées principalement depuis
trois ans, incluant une vingtaine de travaux provenant des laboratoires
des signataires», dit le chercheur originaire de Sorel.
Une piste pharmaceutique
Sur le plan thérapeutique, l'avancée des connaissances en matière de bilinguisme cellulaire pourrait permettre la mise au point
de procédés capables de modifier le répertoire des messagers chimiques
utilisés par les neurones ou de bloquer certains des récepteurs du
glutamate, ce qui aurait pour conséquence de ralentir la dégénérescence
nerveuse causant la maladie de Parkinson, notamment.
Récemment, l'équipe de Louis-Éric Trudeau, avec la collaboration de
celle de Laurent Descarries, a obtenu des Instituts de recherche en
santé du Canada une subvention de 170 000 $ par an durant cinq ans afin de suivre cette piste prometteuse. Mais le scientifique
met en garde ceux et celles qui espèreraient trouver un comprimé
anti-Parkinson à la pharmacie du coin à brève échéance, à la suite de
ces découvertes. «Il y a encore bien du chemin à parcourir avant de
pouvoir passer seulement aux essais cliniques. Nous sommes à l'étape de
la recherche fondamentale.»
À la tête d'une équipe de sept membres, incluant une agente de recherche et des étudiants au doctorat
et au postdoctorat, Louis-Éric Trudeau s'intéresse depuis 15 ans à la
dopamine et au fonctionnement d'une région du cerveau en cause dans la
maladie de Parkinson, la schizophrénie et la dépendance aux drogues. Son
équipe a récemment créé une lignée de souris génétiquement modifiées
pour mieux comprendre les liens entre dopamine et glutamate dans les
maladies du cerveau. «Des laboratoires qui étudient la dopamine
relativement à telle ou telle maladie, il y en a beaucoup. Plus rares
sont ceux qui, comme nous, tentent de comprendre les maladies à partir
d'une exploration
des mécanismes fondamentaux qui régulent la neurotransmission. Comment
les neurones à dopamine communiquent-ils en conditions normales et
pathologiques ? C'est ce que nous cherchons à savoir.»
L'étincelle de la trousse de chimiste
Il faut remonter à la petite enfance de Louis-Éric Trudeau pour trouver l'étincelle à l'origine de son choix de carrière. «Vers l'âge de 10 ans, j'ai reçu un jeu de chimie en cadeau et je crois que ma fascination pour la science a commencé à ce moment-là.»Plusieurs années après avoir provoqué des petites explosions dans la cour de la maison familiale à Baie-D'Urfé (soufre, salpêtre, charbon et boum!), le jeune homme a visité un laboratoire. Un professeur du cégep de Saint-Laurent, Jean Desjardins, l'a accompagné dans un véritable centre de recherche universitaire. «Ça m'a fasciné de savoir qu'on pouvait gagner sa vie à mener des recherches sur le fonctionnement du cerveau», relate-t-il.
Après des études en psychologie, il a fait une maitrise en neurosciences en France, puis un doctorat à l'Institut de recherches cliniques de Montréal, pour ensuite poursuivre sa formation aux États-Unis. À son retour, il a ouvert un laboratoire au Département de pharmacologie de l'Université de Montréal. «J'ai connu les méthodes européenne et nord-américaine. Sans vouloir tomber dans les clichés, j'estime qu'on a vraiment, au Québec, le meilleur des deux mondes. De plus, je peux faire de la science en français», mentionne ce père de deux enfants.
À un journaliste de Télé-Québec qui lui a demandé quelle est la plus grande qualité d'un bon chercheur, il a fait cette réponse étonnante: «Il faut être capable de rebondir en cas d'échecs.»