Comment la présence d'un lac favorise les précipitations intenses
Par Benje le jeudi, mai 19 2011, 05:35 - Nouvelles Scientifiques - Lien permanent
Source: CNRS-INSU
Des chercheurs du Laboratoire d'aérologie (LA, Université
de Toulouse / CNRS) ont réalisé une étude détaillée d'un épisode de
précipitations intenses dans la région du lac Majeur en Italie du nord à l'aide d'observations radar obtenues durant la campagne internationale
MAP (Mesoscale alpine programme) et de simulations numériques par le
modèle Méso-NH. Ils ont ainsi pu identifier et quantifier les processus
physiques et microphysiques impliqués dans le déclenchement et
l'évolution de ce système pluvieux et montrer comment la présence du lac
influe sur le développement des précipitations.
La Méditerranée peut être considérée comme un réservoir de chaleur.
Pendant l'été, elle accumule l'énergie solaire qu'elle restitue à
l'automne aux masses d'air, les rendant humides et potentiellement
instables. Transportées par les vents jusqu'au-dessus des terres, ces
masses d'air peuvent alors y subir un forçage orographique, une
condition favorable au développement de pluies intenses aux conséquences
parfois dramatiques, comme les régions préalpines méditerranéennes en
connaissent régulièrement à l'automne.
Afin de décrire précisément les processus physiques et microphysiques
impliqués dans de telles situations lorsqu'un lac est présent, trois
chercheurs du Laboratoire d'aérologie ont décidé d'utiliser
conjointement des données radar et des simulations numériques.
Les données radar utilisées proviennent de la campagne internationale
MAP (Mesoscale alpine programme) réalisée en 1999 et dont l'objectif
était d'améliorer les connaissances sur la physique des principaux
risques météorologiques en montagne (fortes pluies, forts vents de
vallée et turbulence d'altitude). Lors de cette campagne, trois radars
Doppler permettant d'évaluer les vitesses de déplacement de l'air à l'intérieur du nuage avaient été utilisés, dont un à double polarisation
permettant de déterminer le contenu microphysique du nuage c'est-à-dire
la nature des hydrométéores qu'il contient. Disposés autour du lac
Majeur, ils avaient permis aux chercheurs d'observer plusieurs systèmes
de précipitations orographiques intenses et ainsi de commencer à
comprendre les rôles respectifs joués par le lac et le massif alpin dans le développement et l'évolution de ces systèmes.
En tant que source d'humidité, le lac favorise un phénomène local de convection en permettant l'enrichissement du contenu en eau du nuage, puis le développement de la pluie par coalescence à basse altitude du fait des mouvements ascendants qui maintiennent en suspension les gouttes d'eau dans le nuage. Les premiers
massifs alpins, en bordure du lac, assurent quant à eux un forçage
orographique qui permet un renforcement rapide des précipitations. En
moins d'une heure, de fortes précipitations peuvent ainsi se développer localement dans un environnement de pluie modérée.
Pour compléter ces observations, les trois chercheurs ont réalisé des
simulations, à l'aide du modèle numérique Meso-NH, d'un épisode de
précipitations orographiques intenses qui s'est produit en septembre
1999. Ils ont ainsi pu quantifier les différents types d'hydrométéores
présents au sein du système étudié et décrire précisément les processus
microphysiques impliqués dans leur formation.
Durant la phase d'initiation, les hydrométéores glacés, essentiellement
localisés au-dessus du relief, sont en faible proportion par rapport aux
hydrométéores liquides, lesquels sont plutôt situés au-dessus du lac.
C'est donc une microphysique "chaude", liée au lac, qui caractérise
d'abord le système, les ascendances n'étant pas assez intenses pour
permettre le développement d'hydrométéores glacés à de plus hautes
altitudes.
Durant la phase de développement du système, les précipitations liquides
s'intensifient au-dessus du lac et des premiers reliefs par
renforcement des ascendances convectives (favorisées par la libération
de chaleur latente qui accompagne le processus de solidification au-dessus de l'isotherme 0°C) et orographiques (dues à une modification de trajectoire du vent qui devient davantage perpendiculaire au relief). Les ascendances convectives particulièrement fortes en altitude entraînant l'eau toujours plus haut, la quantité
d'hydrométéores glacés augmente considérablement jusqu'à des altitudes
élevées (10 km) au-dessus des montagnes. C'est donc désormais une
microphysique "froide", liée au relief, qui domine avec une forte
concentration de cristaux de glace au-dessus de 5 km d'altitude, ainsi
que de graupel et de grêle entre 2,5 et 8 km d'altitude. Lors de leur
passage "à travers" l'isotherme 0°C, la fonte des hydrométéores glacés
augmente la quantité de pluie. Le rôle de la phase glace dans le
renforcement des précipitations liquides est ainsi clairement établi
même si la coalescence chaude (autoconversion de gouttelettes nuageuses
en gouttes de pluie et accrétion de gouttelettes par les gouttes) reste un processus actif pour la formation et la croissance de la pluie.
Enfin, le modèle Méso-NH a également permis de mettre en évidence la
présence, en quantité non négligeable et jusqu'à 6 km d'altitude, de
gouttelettes d'eau surfondue trop petites pour être détectées par radar.
Cette information précieuse pour l'étude détaillée des processus
microphysiques illustre à elle seule l'intérêt d'utiliser la
modélisation en complément des observations.