Source: Université de Liège

Une signature neuronale de la conscience découverte grâce à l'étude des comas. Des études récentes ont démontré que des patients avec des dommages très sévères du cerveau et qui présentent peu de signes extérieurs de perception ou de compréhension peuvent ressentir la douleur et même avoir un degré de conscience (1). Dès lors, de meilleures méthodes d'évaluation de la conscience chez ces patients pourraient aider les médecins à mieux les traiter et préciser leur pronostic ; elles pourraient aussi donner aux familles une indication sur le fait de savoir si leur proche est conscient ou non de leurs visites.

Cette semaine, dans la revue Science, une étude liégeoise décrit un nouveau "test de la conscience" qui pourrait représenter une étape dans cette direction. L'équipe a enregistré les réponses électriques du cerveau à différents types de "clics" auditifs en utilisant l'électroencéphalographie (EEG) à haute densité. En utilisant un modèle sophistiqué, les chercheurs ont pu identifier une signature neuronale de la conscience qui est présente chez les personnes saines et chez des patients avec un niveau minimal et fluctuant de conscience, mais pas chez les patients inconscients ou "végétatifs" (3). L'étude représente un pas de plus vers notre compréhension d'une des plus grandes énigmes scientifiques: comprendre comment émergent, de l'ensemble des millions de milliards de connexions du cerveau humain, la perception consciente et nos pensées. (2)

Les recherches cliniques dirigées par Mélanie Boly et Steven Laureys au Coma Science Group (Centre de recherches du Cyclotron et Service de neurologie de l'ULg et CHU de Liège) ont collecté des enregistrements EEG chez 22 volontaires sains et 21 patients qui ont survécu à un coma. Parmi ceux-ci, 8 étaient dans un état d'éveil inconscient (dit "végétatif"), caractérisé par la présence de réponses réflexives, et 13 étaient dans un état de "conscience minimale", une atteinte moins profonde dans laquelle les patients ont des épisodes occasionnels de réactivité (par exemple, suivre une personne des yeux ou repousser une stimulation douloureuse).

Les chercheurs ont fait les enregistrements EEG alors que les sujets écoutaient une série de tonalités. Des études antérieures avaient révélé que la réponse électrique du cerveau change quand la fréquence des tonalités change. Cette réponse diminue pendant le sommeil et sous anesthésie, suggérant ainsi aux chercheurs qu'elle pouvait être un indicateur de la conscience. Les recherches de l'équipe liégeoise ont établi que chez les patients inconscients ou "végétatifs", cette réponse était faible et fugace, d'une durée inférieure à un dixième de seconde.

Pour enquêter sur les raisons du caractère transitoire de cette réponse, le Dr Mélanie Boly et ses collègues ont collaboré avec le neuroscientifique Karl Friston et son équipe de l'University College de Londres, qui ont développé des méthodes mathématiques permettant aux chercheurs de déduire le réseau de régions cérébrales dont l'activité donne lieu à un signal EEG. Les études antérieures de l'équipe liégeoise avaient déjà permis d'identifier un "réseau de la conscience" comprenant la matière grise fronto-pariétale et de mettre en évidence le rôle critique de la communication ou la connectivité dans ce réseau.

Le recours à la technique de leurs collègues anglais a permis aux chercheurs liégeois de valider leur hypothèse et préciser les mécanismes. "Notre étude suggère que pour être conscient, il faut des connexions descendantes ("top-down") complétant une boucle de rétroaction", explique le Dr Mélanie Boly. Le Pr Steven Laureys insiste: "Ce n'est encore qu'un début, des études en cours vont évaluer la valeur pronostique de cette nouvelle technique."

Notes: (1) Willful modulation of brain activity in disorders of consciousness, Monti MM & Vanhaudenhuyse A, Coleman MR, Boly M, Pickard JD, Tshibanda JF, Owen AM, Laureys S
New England Journal of Medicine (2010) 362(7):579-89. Lire l'article de vulgarisation sur le site Reflexions de l'Université de Liège, Un improbable dialogue, mars 2010.
(2) Preserved feedforward but impaired top-down processes in the vegetative State, Boly M, Garrido MI, Gosseries O, Bruno MA, Boveroux P, Schnakers C, Massimini M, Litvak V, Laureys S, Friston K, article publié dans la revue Science ce 13 mai 2011.
(3) Un patient en état "végétatif" montre uniquement des mouvements réflexes. S'il peut faire plus que des mouvements réflexes mais sans possibilités de communiquer, le patient est décrit en état de conscience minimale. Un patient en état végétatif présente un moins bon pronostic médical que celui en état de conscience minimale. Etablir le bon diagnostic est important non seulement pour les décisions de fin de vie mais aussi pour l'accompagnement thérapeutique et antidouleur. En effet, l'équipe de l'Université de Liège a récemment montré que les patients en état de conscience minimale ressentent la douleur (M. Boly et al., Lancet Neurology, 2008) ainsi que les émotions (S. Laureys, Neurology, 2004).