Par Pablo René-Worms

Des chercheurs vont suivre des enfants pendant vingt ans pour comprendre comment leur environnement influe sur leur existence.

Suivre 20 000 enfants pendant vingt ans. C'est le pari un peu fou que se sont lancé les scientifiques à l'origine du projet Elfe. Elfe pour Étude longitudinale française depuis l'enfance. Une étude dont la première phase a eu lieu du 1er au 4 avril auprès de 4 000 nouveau-nés de 344 maternités et qui sera poursuivie avec de nouvelles sélections de bébés fin juin/début juillet, fin septembre/début octobre puis mi-décembre.

Son but ? Améliorer à terme la santé et le bien-être de tous les enfants en observant "l'effet cumulé de différents facteurs et leur interaction tout au long du parcours de l'enfant depuis sa naissance, voire la vie intra-utérine, jusqu'à l'âge adulte", selon Patricia Dargent, chercheuse à l'Inserm et directrice adjointe du projet. Pour elle, "cela permettra de mieux comprendre comment l'environnement des enfants affecte leur développement, leur santé, leur socialisation, leur parcours scolaire, et d'observer comment se forgent les inégalités".

Geste civique

Une étude pluridisciplinaire à laquelle participent pas moins d'une soixantaine d'équipes qui travailleront tout au long des vingt prochaines années sur de nombreuses questions auxquelles il n'y a pas encore de réponses scientifiques. Par exemple : l'âge de 6 mois est-il le bon pour débuter la diversification alimentaire et diminuer les risques d'allergie et d'obésité par la suite ? Quel est l'impact exact des téléphones portables, des écrans de télévision ou de jeux vidéo ? Quelles sont les incidences des polluants, des pesticides, du bisphénol A et des phtalates sur la santé des enfants ? Enfin, application très concrète, Elfe permettra de "mettre à jour les courbes de croissance dans les carnets de santé, alors que celles-ci n'ont pas été revues depuis les années 1950", selon Christine Pierre, une sage-femme enquêtrice, qui a participé à la première phase de l'enquête au CHU de Poitiers.

"Les parents qui ont accepté de participer à l'étude attendent de celle-ci qu'elle puisse à terme répondre à une partie de leurs questionnements, une des mamans m'a même parlé de geste civique", raconte Christine Pierre. Si le fait de s'engager sur une vingtaine d'années peut sembler contraignant, un peu plus de 50 % des personnes approchées se sont lancées dans l'aventure. Certaines familles quittent néanmoins le navire en route. Ainsi, "lors d'une phase de test effectuée dans quelques départements à partir de 2007, un peu moins de 10 % des familles ne répondaient plus aux questionnaires trois ans plus tard", selon Patricia Dargent.

Les Anglo-Saxons à la pointe

Une fois le principe accepté, un premier entretien est organisé à la maternité pour recueillir des données sur le déroulement de la grossesse et de la naissance. Les familles qui le souhaitent peuvent ensuite récupérer du matériel pour effectuer des prélèvements de poussières dans les logements, pour en évaluer les effets potentiels sur la santé de leur bébé. Six à huit semaines après l'accouchement, les deux parents seront amenés à raconter, au téléphone, comment progresse leur enfant dans son environnement familial. Jusqu'à l'âge de quatre ans, les contacts téléphoniques sont prévus une fois par an, puis à une fréquence plus espacée jusqu'à l'âge adulte.

Si observer l'évolution d'une classe d'âge sur un temps long est une idée nouvelle en France, elle a déjà fait son bout de chemin dans le reste du monde. "La Grande-Bretagne a été précurseur en la matière en lançant dès 1946 une grande cohorte de naissance suivie de bien d'autres. Les pays anglo-saxons et les pays nordiques travaillent depuis quelque temps de la sorte", explique Patricia Dargent. L'intérêt de la démarche française est donc également selon la directrice adjointe du programme de pouvoir comparer les résultats français à ceux des autres pays. Des conclusions qui ne se feront pas attendre vingt ans, puisque les résultats de l'enquête suivront l'évolution des enfants. "Dès 2013, on pourra donner une description assez fine en matière d'alimentation précoce des jeunes enfants, ou des niveaux d'imprégnation au niveau des différents polluants de l'environnement", dit Patricia Dargent. Reste que pour tout savoir sur la cuvée 2011, rendez-vous... en 2031 !