Il n'est pas rare d'entendre des pères et des mères dire qu'ils doivent "gérer" l'horaire de leurs enfants et veiller à ce que ces derniers "performent" bien à l'école; qu'ils "investissent" dans l'avenir de leur progéniture; qu'ils ne se sentent pas toujours à la hauteur dans leur "job" de parents.

Le langage du monde du travail, constate Valérie Besner, nouvelle diplômée de la maitrise en sociologie, contamine l'univers familial. "Les vocabulaires du travail et de l'éducation se juxtaposent dans le discours des parents", observe celle qui s'est questionnée dans son mémoire sur les liens entre la manière dont les parents envisagent le parcours de leurs enfants et leur propre expérience au travail.

L'auteur de cette recherche a réalisé des entrevues avec 13 parents d'enfants de moins de cinq ans. Sa conclusion: ils utilisent fréquemment les termes "performance", "rentabilisation", "objectifs" et "gestion" quand ils parlent d'éducation.

Les parents rencontrés ont divers rapports avec le marché du travail. Certains sont capables de ne plus penser à leur gagne-pain une fois à la maison, d'autres sont tiraillés entre leur emploi, leur famille et leur vie personnelle, et d'autres encore trouvent la conciliation travail-famille exigeante mais possible en raison de leur organisation de la maisonnée. Malgré leurs visions différentes, tous empruntent d'une quelconque façon des termes propres au monde du travail.

Jean*, un père qui est plutôt détaché de son emploi quand il a les pieds chez lui, évoque le jeu comme un devoir. "Qu'est-ce que c'est, pour moi, l'enfance? C'est un terrain de jeu. Si ma fille a une responsabilité, c'est de jouer."

Pour Jocelyne*, éprouvée par la conciliation travail-famille, le centre de la petite enfance que fréquente sa fillette semble être "l'emploi" de l'enfant. Quand on la questionne sur le bilan de son enfant au service de garde, elle répond: "Pourquoi c'est important pour moi? Je ne sais pas. [...] Peut-être par souci de performance. Mais je te dis ça et je trouve l'explication ridicule. Il n'y a pas de souci de performance. C'est une enfant. Mais peut-être que moi, je transpose des soucis que je vis au travail en disant que pour elle, c'est son emploi, donc qu'il faut qu'elle performe."

Valérie Besner signale que ce phénomène proviendrait d'une obligation de performance qui touche toutes les sphères de la société. "Avant, il suffisait d'avoir un enfant pour être jugé, de fait, un parent compétent, alors qu'aujourd'hui ce n'est plus le cas", dit celle dont le mémoire a été dirigé par le professeur Christopher McAll.

Ainsi, les parents sont toujours jugés à l'aune du développement de leurs enfants. "La pression exercée sur eux est énorme, car la trajectoire déviante ou les difficultés que vivra un enfant sont considérées comme un échec directement attribuable à ses parents, à leurs problèmes d'adaptation ou à leurs troubles psychosociaux", résume-t-elle.