Par Anaïs van Ditzhuyzen, le 22/04/2011

Pour la première fois, une équipe de biologistes japonais a réussi à fabriquer de toute pièce une rétine à partir de cellules issues d'un embryon de souris. Sa forme sphérique est identique à celle d'une souris de 10 jours. Une lueur d'espoir pour de nouvelles thérapies.

Elles auraient dû se transformer en cellules de rétine et ne former qu'une sorte d'amas. Mais à la grande surprise des chercheurs, les cellules qu'ils cultivaient se sont organisées d'elles-même, formant deux petits globes : des rétines en trois dimensions similaires à celles de souris âgées de 10 jours. Une première ! (Eiraku et al., Nature, 7 avril 2011).

Cette prouesse, réalisée par l'équipe du professeur Yoshiki Sasai, du centre de biologie du développement RIKEN à Kobe, est le fruit de nombreuses années de travail dans le domaine. Depuis les années 1980, les scientifiques utilisent des cellules souches embryonnaires de souris (CSE) afin de produire des cellules spécialisées. Jusque-là, ils savaient déjà cultiver des tissus comme la peau et les tendons. « Ce qui est extraordinaire ici, c'est que la rétine est un organe du système nerveux central, s'enthousiasme Olivier Goureau, chercheur à l'Institut de la vision à Paris. C'est une structure très complexe. Nous savions déjà produire des cellules rétiniennes à partir de CSE, mais jusqu'ici nous ne pouvions obtenir qu'une sorte de soupe, un amas informe de cellules de rétine.»

Nouvelle recette

Dépassée l'époque de la « soupe », aujourd'hui la rétine est ronde, entière. Mais quelle en est la recette ? Comme d'habitude, les scientifiques ont incorporé la protéine capable de déclencher la différenciation des CSE de souris en cellules rétiniennes. Mais ils ont changé la concentration de « matrigel ». Cette matrice extracellulaire artificielle agit comme de la gélatine, elle sert de matelas de protection et apporte des nutriments. Ce matelas, déposé au fond, ne permettait pas aux cellules de prendre du volume. En changeant la concentration de ce gel, la structure a pu se développer en trois dimensions et ne se trouve plus cantonnée à la surface de la boite de culture.

Dans ce bain propice à leur développement, les cellules se sont stratifiées, comme dans une rétine de souris normale. Elles se sont tout d'abord agglomérées puis repliées en formant deux parties. La première est composée de cellules pigmentées qui retiennent la structure et qui sont susceptibles d'apporter des nutriments. La deuxième possède les cellules capables de recevoir la lumière (les bâtonnets ou photorécepteurs) et de transmettre les informations au cerveau. L'équipe va maintenant poursuivre ses expériences pour savoir si ce fond d'oeil est bel et bien sensible à la lumière, et si des connexions nerveuses sont possibles.

Le développement de cette rétine surprend tous les spécialistes. Chez l'embryon, la rétine se développe en même temps que le cristallin. Les scientifiques pensaient donc que l'une ne pouvait se développer sans l'autre. Pourtant, dans leur éprouvette, la rétine n'a pas eu besoin de son acolyte, le cristallin, pour se former. Yoshiki Sasai avance une hypothèse compatible avec les connaissances actuelles. Les cellules rétiniennes auraient été dupées, prenant certaines cellules présentes à la surface de la cupule optique pour un cristallin.

Vers des thérapies pour l’homme

Après les souris, l'homme. L'équipe du professeur Yoshiki Sasai travaille déjà avec des cellules souches embryonnaires humaines. Selon Olivier Goureau, il faudra des années avant d'imaginer pouvoir fabriquer des rétines pour l'homme. Mais les résultats des scientifiques japonais sont prometteurs. Des organes fabriqués in vitro pourraient servir de modèle pour étudier les pathologies génétiques. En développant des rétines porteuses de gènes défaillants, les scientifiques pourraient en comprendre les mécanismes et tester différentes thérapies. « Si c'est possible pour la souris, il n'y a aucune raison que cela ne soit pas possible pour l'homme », pronostique-t-il.

Il faudra encore attendre d'être capable de former des rétines humaines et savoir les purifier, mais l'espoir est là : pouvoir un jour transplanter des photorecepteurs. En France, environ 25 000 personnes souffrent aujourd'hui d'une dégénérescence de ces cellules, les rendant aveugles. Si l'on compte les cas de dégénérescences dues à l'âge, des centaines de milliers de personnes seraient alors concernées par ces thérapies de demain.