L'évolution pourrait ne pas surmonter le changement climatique
Par Benje le lundi, juillet 11 2011, 00:44 - Nouvelles Scientifiques - Lien permanent
Source: BE Etats-Unis numéro 251 (17/06/2011) - Ambassade de France aux Etats-Unis / ADIT - http://www.bulletins-electroniques.com/ ... /67050.htm
D'après une étude de l'Université de Californie Davis (UC Davis), parue le 8 Juin dans Proceedings of the Royal Society B.,
certaines espèces d'animaux et de plantes pourraient ne pas être
capables d'évoluer et de s'adapter suffisamment pour survivre au
changement climatique. Ces résultats conduisent à s'interroger sur la
capacité des modèles actuels à prédire justement les réponses
biologiques au changement climatique.
L'équipe de recherche a étudié les capacités d'adaptation d'une espèce
spécifique de copépode, un petit crustacé vivant exclusivement dans des
mares résiduelles, des points d'eau formés dans la roche par les marées.
Nommée Tigriopus californicus, cette espèce est présente sur près de
3000 kms de latitude, vivant du sud
de l'Alaska à la région de Basse Californie (Mexique), ce qui témoigne
d'une capacité d'adaptation à des climats et des températures très
différentes.
Huit populations de copépodes ont été collectées à plusieurs latitudes
différentes. Elles ont été élevées dans des environnements artificiels
et soumises à une augmentation progressive de température. Leur réponse
en termes d'adaptation et de tolérance thermique a été observée et mesurée sur 10 générations.
"Il s'agit d'une question à laquelle beaucoup de scientifiques
s'intéressent: est-ce que les organismes ont la capacité de s'adapter au
changement climatique sur une période de quelques décennies ?" déclare
Eric Sanford, co-auteur de l'article, professeur en évolution et
écologie à l'Université à UC Davis et chercheur au Laboratoire Marin de
Bodega de l'Université.
Les résultats d'analyse montrent que la tolérance thermique varie
fortement entre les différentes populations, celle-ci étant
significativement plus importante chez les populations provenant de
basses latitudes, au sein des climats plus chauds. Cependant,
l'augmentation de la tolérance thermique au fil des générations reste
très limitée, ne dépassant pas 0,5°C maximum. Pour la plupart des
populations, cette augmentation de tolérance stagne rapidement avant ce
point. De plus, les groupes provenant des hautes latitudes ne
parviennent pas à atteindre les niveaux de tolérance plus élevés de ceux
des basses latitudes, aussi bien après acclimatation ou évolution sur
10 générations.
D'après Morgan Kelly, auteur principale du papier et étudiante à UC
Davis, bien que les copépodes soient actuellement capables de supporter
d'importantes variations de température - de l'ordre de 20°C par jour,
ils pourraient se trouver à la limite de leur capacité d'évolution en
termes de tolérance thermique.
Les résultats de l'étude montrent qu'une espèce dotée d'une forte
distribution spatiale et donc d'une grande capacité d'adaptation aux
différents climats peut aussi être souffrir d'une faible capacité
d'évolution. Ces résultats vont à l'encontre de nombreux modèles
actuels, qui considèrent que plus une espèce est répandue
géographiquement, plus elle aurait la capacité de développer de nouveaux
phénotypes résistant à une augmentation de température et moins elle
serait vulnérable au changement climatique.
Cependant, bien que les copépodes soient répartis sur une large zone
géographique, les populations sont en réalité très isolées les unes des
autres. Vivant dans des points d'eau se formant dans la roche grâce aux
marées, ils restent confinés dans leur espace et n'entrent en interaction avec d'autres mares que lorsqu'ils sont transportés par une vague. Cela limite fortement les
possibilités d'échange génétique entre populations, limitant ainsi leur
capacité d'évolution dans le domaine de la tolérance thermique.
"L'hypothèse générale a toujours été que les espèces très répandues
[géographiquement] disposaient d'une quantité importante de matériel
génétique pour assurer leur évolution, mais cette étude montre que cela
n'est peut-être pas le cas" déclare Rick Grosberg, co-auteur de l'étude
et professeur en évolution et écologie à l'université à UC Davis. Pour
cette raison, l'étude conclue que les modèles actuels sont susceptibles
de sous-estimer les risques d'extinction d'espèces dus à l'augmentation
de température atmosphérique et marine résultant du changement
climatique. Elle recommande d'inclure plusieurs facteurs importants au
sein de ces modèles, comme la transmission génétique au sein d'une
espèce.
Grosberg affirme que de nombreuses espèces d'animaux, d'oiseaux et de
plantes ont vu leur habitat fragmenté par l'activité humaine, et sont
soumis à la pression du changement climatique. A l'instar des copépodes, nombre
d'entre elles pourrait similairement avoir une capacité limitée à
s'adapter au rythme rapide du changement climatique. "[...] De nombreux
organismes ont déjà atteint leurs limites environnementales, et la
sélection naturelle ne pourra pas nécessairement les sauver".