Une nouvelle technique pour restaurer le rythme cardiaque
Par Benje le mardi, juillet 19 2011, 09:39 - Nouvelles Scientifiques - Lien permanent
Source: CNRS
Un choc électrique de grande amplitude,
souvent douloureux, est la seule méthode pour traiter certains cas
d'arythmie cardiaque chronique. Une nouvelle technique reposant sur des
impulsions beaucoup plus faibles a été conçue par une collaboration
internationale de physiciens et de cardiologues (1) impliquant notamment Alain Pumir, chercheur CNRS au Laboratoire de physique de l'ENS Lyon (CNRS/ENS Lyon/Université Lyon 1).
Testée in vivo, elle s'est avérée efficace pour restaurer le rythme
cardiaque chez des animaux souffrant de fibrillations auriculaires
(arythmies les plus fréquentes dans le monde). Même s'il reste à la
tester sur des patients, ces premiers résultats sont encourageants et
pourraient permettre d'imaginer des méthodes de défibrillation indolores. Ces travaux ont été publiés le 14 juillet 2011 dans la revue Nature.
Avec plus de 10 millions de personnes touchées en Europe et aux
États-Unis, la fibrillation auriculaire (ou atriale) est le plus
fréquent des troubles du rythme cardiaque. Cette arythmie (2)
correspond à une action non coordonnée de certaines cellules du muscle
cardiaque. Des impulsions électriques peuvent alors se propager de
manière chaotique dans le cœur, empêchant les contractions régulières de
l'organe, et donc le transport
de sang dans l'organisme. Pour réduire la fibrillation auriculaire et
tenter de restaurer un rythme cardiaque normal, l'utilisation de
médicaments est loin d'être suffisante. La méthode la plus efficace
reste l'application d'un choc électrique externe (via un
défibrillateur). La défibrillation consiste à faire passer
volontairement et brièvement un courant électrique
dans le cœur afin de restaurer rythme cardiaque normal. Cette impulsion
électrique de grande intensité (champ électrique élevé) peut endommager
les tissus et est souvent perçue comme très douloureuse. Jusqu'à
présent, il était impossible de réduire son intensité sans prendre le
risque que la défibrillation ne fonctionne pas.
Les chercheurs ont tout d'abord étudié les interactions entre le champ électrique et les tissus cardiaques. Imposer un champ
électrique élevé (cas des défibrillateurs classiques) permet de générer
des ondes dans le tissu cardiaque, principalement à partir des
vaisseaux. Cet ensemble d'ondes s'annule ensuite,
ce qui permet de restaurer le rythme cardiaque. Avec un champ électrique
plus faible, les chercheurs ont supposé que moins de sources seront
excitées. Leur hypothèse de travail a été la suivante: il faut réitérer à
plusieurs reprises le choc électrique. C'est ce qu'ils ont ensuite
vérifié in vivo. Utilisant un cathéter cardiaque classique, les
chercheurs ont appliqué une série de cinq impulsions de faible intensité
dans le cœur animal. Après quelques secondes, ce
dernier battait à nouveau de manière régulière. Baptisée "LEAP" (pour
Low-Energy Anti-fibrillation Pacing), leur nouvelle technique fonctionne
sur le même principe que les défibrillateurs existants, tout en
provoquant une réponse très différente dans le cœur. Peu après le choc électrique, le tissu cardiaque ne peut plus transmettre aucun signal électrique ; l'activité chaotique est terminée. Le cœur reprend alors son activité normale.
LEAP utilisant des champs électriques faibles, cette nouvelle technique
serait moins douloureuse et moins dommageable pour le tissu cardiaque
que les défibrillateurs existants (réduction de 80 % de l'énergie
nécessaire). Autre atout, elle permet de restaurer le rythme cardiaque
plus progressivement que les techniques actuelles. Chaque impulsion
active davantage de tissus, permettant une suppression progressive de
l'activité turbulente du cœur. Les vaisseaux sanguins ou autres
"hétérogénéités" cardiaques, comme les défauts d'orientations des fibres
cardiaques, agissent comme des centres de contrôle: une fois activés, ils permettent de "reprogrammer" le cœur.
Pour parvenir à ces résultats, les chercheurs se sont donc intéressés à
la compréhension fine de l'effet du champ électrique sur le muscle
cardiaque. Alain Pumir a apporté son expertise de physicien dans ce
travail. Les expériences menées par Stefan Luther et Eberhard
Bodenschatz au Max-Planck-Institut en Allemagne, Flavio Fenton et Robert
Gilmour à l'Université Cornell aux États-Unis, et leurs collègues se
sont appuyées sur des techniques de visualisation à haute résolution
temporelle ou spatiale. Complétées par des simulations numériques, elles
ont permis d'élucider de manière très précise les phénomènes impliqués.
Démontrés chez l'animal pour des fibrillations auriculaires, ces
résultats pourraient également s'appliquer au traitement des
fibrillations ventriculaires, une arythmie mortelle. LEAP pourrait alors
permettre d'éliminer la douleur, d'améliorer le taux de succès du
traitement, et de prolonger la durée de vie des batteries des
défibrillateurs implantés ou externes actuellement utilisés. Prochaine
étape: tester ce dispositif sur des patients, avant d'espérer développer
de nouvelles thérapies pour traiter les arythmies cardiaques.
Notes: (1) Sont également impliqués l'Institut Max-Planck et l'Université de
Médecine de Göttingen, en Allemagne, l'Université Cornell et le
Rochester Institute of Technology, aux États-Unis, le Laboratoire de
physique de l'ENS Lyon (CNRS/ENS Lyon/Université Claude Bernard Lyon 1)
et l'Institut non linéaire de Nice (CNRS/Université de Nice) en France.
(2) Dans un cœur dit "normal", les impulsions électriques se propagent
dans le muscle cardiaque de manière ordonnée, ce qui permet des
contractions régulières du muscle.
Référence: Low-energy Control of Electrical Turbulences in the Heart. Stefan
Luther, Flavio H. Fenton, Bruce G. Kornreich, Amgad Squires, Philip
Bittihn, Daniel Hornung, Markus Zabel, James Flanders, Andrea Gladuli,
Luis Campoy, Elizabeth M. Cherry, Gisa Luther, Gerd Hasenfuss, Valentin
I. Krinsky, Alain Pumir, Robert F. Gilmour Jr., Eberhard Bodenschatz.
Nature, 14 juillet 2011.