A des profondeurs abyssales, des organismes prolifèrent dans des écosystèmes a priori hostiles: les sources hydrothermales, objets d'intenses recherches depuis plus de trente ans. Une étude internationale révèle pour la première fois que des bactéries vivant en association avec des moules hydrothermales sont capables d'utiliser de l'hydrogène comme source d'énergie pour produire de la matière organique. Ces travaux sont le fruit d'une collaboration internationale menée par une équipe allemande du Max Planck Institute et impliquant notamment des chercheurs français du CNRS et du CEA-Genoscope. Publiés dans la revue Nature du 11 août 2011, de tels résultats ouvrent des perspectives intéressantes pour les biotechnologies.

La découverte des sources hydrothermales (1) profondes en 1977 a non seulement révolutionné la compréhension du monde abyssal mais aussi celle des sources d'énergie qui alimentent la production primaire sur Terre. A des profondeurs pourtant totalement obscures, des organismes vivants prolifèrent abondamment au niveau de ces sources. Ces écosystèmes sont dominés par des animaux vivant en symbiose avec des bactéries (2) qui sont capables d'utiliser de l'énergie chimique pour produire de la matière organique, au lieu de l'énergie lumineuse habituellement utilisée par les plantes pour cette production.

Une équipe internationale menée par des chercheurs allemands basés pour la plupart au Max Planck Institute, en collaboration avec des chercheurs du CNRS et du CEA-Genoscope en France et de l'Université de Harvard aux États-Unis, a exploré, à 3 200 mètres de profondeur, le site de sources hydrothermales de Logatchev, situé à 14° de latitude Nord de la dorsale Medio-atlantique, grande zone d'expansion du plancher océanique qui court tout au long du milieu de l'Altantique. Jusqu'à présent, deux sources d'énergie chimique utilisées par les bactéries des sources hydrothermales étaient connues: les composés sulfurés réduits et le méthane. Aujourd'hui, les scientifiques révèlent que les bactéries symbiotiques des moules hydrothermales de la dorsale Médio-Atlantique sont aussi capables d'utiliser l'hydrogène comme source d'énergie pour fixer du carbone et produire de la matière organique.

Sur le site Logatchev, l'hydrogène est émis en abondance dans les fluides hydrothermaux. Stéphane Hourdez, chercheur CNRS au laboratoire Adaptation et diversité en milieu marin de la station marine de Roscoff (CNRS/UMPC) a montré que les bancs de moules consomment une proportion importante d'hydrogène, diminuant les flux de ce gaz dans l'océan profond de 45 à 50%. Les calculs mènent à une consommation de 4 460 litres d'hydrogène par heure pour l'ensemble de la zone de Logatchev (rassemblant de 250 000 à un demi-million de moules)... ce qui représente une consommation de 39 millions de litres d'hydrogène par an.

Par ailleurs, une équipe du laboratoire Génomique métabolique (CNRS/CEA-Genoscope/Université d'Evry Val Essonne) a participé à l'identification du gène clé de la transformation chimique de l'hydrogène. Or, ce gène est également présent chez les bactéries de nombreux autres organismes hydrothermaux (comme des vers et des crevettes). Cela implique que la capacité à utiliser l'hydrogène comme source d'énergie est répandue dans les symbioses hydrothermales, en particulier dans les sites où l'hydrogène est abondant (comme à Logatchev).

Ces résultats ouvrent des perspectives intéressantes car l'utilisation de l'hydrogène par ces bactéries est plus simple et plus productive en énergie (de 7 à 18 fois) que les autres sources (méthane et hydrogène sulfuré). La découverte de cette nouvelle voie métabolique et l'identification du gène clé de l'oxydation de l'hydrogène gazeux pourrait, à plus long terme, intéresser les biotechnologies et son intérêt est certain pour le futur des énergies renouvelables.