Transférer des petits ARNs dans une cellule avec l'électricité
Par Benje le lundi, août 29 2011, 09:50 - Nouvelles Scientifiques - Lien permanent
Source: CNRS-INSB
Observer et caractériser des mécanismes biologiques élémentaires en temps
réel sur des cellules vivantes est devenu un enjeu majeur pour les
sciences du vivant. Une équipe de l'Institut de pharmacologie et de
biologie structurale (CNRS/Université Paul Sabatier - Toulouse III) a
identifié, par vidéo-microscopie au niveau de la cellule unique, le
mécanisme biophysique
qui caractérise le transfert par électroperméabilisation des ARNs
interférents dans les cellules. Ces résultats ont fait l'objet d'un
article publié dans la revue PNAS en juin 2011.
La plupart des maladies impliquent des gènes qui se trouvent surexprimés
ou exprimés au mauvais endroit dans l'organisme. La découverte de
l'interférence ARN en 1998 a ouvert de nouvelles voies thérapeutiques et
a valu le Prix Nobel de médecine à Andrew Fire et Craig Mello en 2006.
L'acteur clé de ce phénomène naturel, l'ARN interférent (ARNi), est une
petite molécule qui bloque la traduction d'une protéine, c'est à dire
l'expression d'un gène et d'une fonction physiologique donnée.
Contrôler l'expression des gènes grâce à l'interférence ARN serait donc
une forme de thérapie génique moléculaire d'une efficacité presque sans
limites, notamment contre les maladies virales ou cancéreuses.
Cependant, l'interférence ARN n'a pas encore fait ses preuves en
clinique du fait de la difficulté à transférer les ARNs interférents
spécifiques d'un gène dans le cytoplasme des cellules cibles, de manière
efficace et sans effets secondaires. C'est pourquoi l'équipe
"Biophysique cellulaire" dirigée par Marie-Pierre Rols à l'IPBS s'est
penchée sur l'électrotransfert de ces petites molécules d'ARN. Cette
technique physique de vectorisation également appelée
électroperméabilisation, consiste à injecter une molécule d'intérêt
thérapeutique (molécule anticancéreuse, ADN, ARN) dans un tissu et à
administrer des impulsions électriques qui perméabilisent les membranes
plasmiques, permettant ainsi l'entrée des molécules dans les cellules.
Les chercheurs sont parvenus à transférer par électroperméabilisation
des ARNs interférents fluorescents dans le cytoplasme de cellules
cancéreuses ciblées. L'observation en temps réel au niveau de la cellule
unique a permis de décrypter le mécanisme biophysique à l'origine de
cet électrotransfert. Ils ont tout d'abord prouvé l'efficacité du champ
électrique à vectoriser l'ARNi au sein de la cellule cancéreuse et
l'aptitude de ce dernier à inhiber le gène cible, une fois arrivé à
destination. Les scientifiques ont également montré que le champ électrique agit à la fois sur la perméabilisation de la membrane plasmique des cellules et sur la poussée électrophorétique des molécules chargées. Ils ont ensuite observé que la cinétique
de transfert des ARNs interférents est compatible avec la création de
"structures transitoires de perméabilisation", qui impliquent un
mécanisme spécifique des propriétés physico-chimiques (charge et taille)
des molécules injectées. Dans le cas d'ARNs interférents, ce processus
est différent de ce qui a déjà été décrit pour des petites molécules
anticancéreuses comme le cis-platine ou la bléomycine, qui diffusent
librement à travers les membranes électroperméabilisées, ou pour de très
grosses molécules, telles que l'ADN plasmidique, qui interagissent avec
les membranes pendant l'impulsion électrique, avant d'être transférées
ultérieurement dans les cellules (1).
L'électroperméabilisation est utilisée avec succès pour le transfert de
molécules actives vers des cellules cancéreuses ou tumorales, notamment
dans l'électrochimiothérapie, procédé qui combine alternativement
électrotransfert et chimiothérapie douce. L'approche biophysique décrite
dans ce travail lève le blocage lié au transfert par
électroperméabilisation d'ARNs interférents dans des cellules
cancéreuses et alimente la mise au point future de protocoles cliniques
et d'outils de thérapie plus ciblés et donc plus efficaces.
Note: (1) Direct visualization at the single-cell level of electrically
mediates gene delivery, Muriel Golzio, Justin Teissié, Marie-Pierre
Rols, PNAS 99(3):1292-1297, Published online January 29, 2002,
doi:10.1073/pnas.022646499.
Référence: Direct visualization at the single-cell level of siRNA
electrotransfer into cancer cells, Aurélie Paganin-Gioanni, Elisabeth
Bellard, Jean-Michel Escoffre, Marie-Pierre Rols, Justin Teissié, Muriel
Golzio, PNAS 108(26):10443-10447, Published online June 13, 2011,
doi:10.1073/pnas.1103519108.