Les décideurs, même dans un tribunal qui travaille de manière collégiale, sont plus influencés par leur état de fatigue physique ou psychologique que par les données objectives de la situation à laquelle ils ont à faire face. C'est ce que montre une étude publiée, début 2011, dans l'hebdomadaire américain PNAS (Proceedings of the National Academy of Sciences) par Daniel Kahneman, de la Princeton University.

Les décisions judiciaires sont-elles basées seulement sur la loi et les faits ? Normalement, le formalisme légal fait que les juges appliquent la loi à partir des faits, de manière mécanique, et rationnelle après en avoir délibéré. A l’opposé, certains, plus réalistes, estiment que des raisons légales ne suffisent pas à expliquer les décisions des juges et que des facteurs psychologiques, politiques et sociaux influencent leur décision, résume l'article publié par PNAS.

Les auteurs de l'étude ont voulu voir s'il y avait un fond de vérité dans la formule caricaturale qui dit que la justice "dépend de ce que le juge a pris comme petit déjeuner". Les universitaires ont travaillé sur les décisions prises par un tribunal israélien chargé de répondre à des demandes de libération sur parole de détenus, déjà emprisonnés, et ayant effectué une partie de leur peine.

Ils se sont intéressés à plus de 1 100 décisions sur une période d'un an prises par un trio comprenant un juge, un spécialiste en criminologie, et un travailleur social. Exemple avec un Arabe-Israélien condamné à 30 mois de prison qui comparaît à 8h50 du matin, un Juif Israélien condamné à 16 mois de prison comparaissant à 15h10, et un Arabe Israélien condamné à 30 mois de prison.

La décision prise par le tribunal n'est pas influencée par l'origine ethnique des condamnés, ni par la longueur de la peine, ou l'importance du délit, mais par l'heure à laquelle leur cas est étudié.... comme le montre les chiffres sur plus de 1 000 décisions. Passé en début de matinée, l'Arabe Israélien bénéficie d'une libération conditionnelle, mais pas l'Israélien qui a été condamné à une peine de prison deux fois plus courte, pas plus que l'Arabe Israélien qui a la même peine de 30 mois que celui qui a été libéré le matin.

La fatigue a joué son rôle dans le processus de décision. Et cette étude n'est pas la seule à le montrer, cités dans un long article publié dans le supplément hebdomadaire du New York Times, les travaux de Roy Baumeister, de l'université d’État de Floride, évoquent aussi l'influence de ce phénomène sur l'égo de sujets amenés à choisir, qui subissent un phénomène qui influe sur l'ego, appelé "ego depletion". L'énergie mentale s'épuise, même lorsque la décision concerne quelque chose d'agréable, à priori. 

Exemple avec le choix de cadeaux de mariage proposés sur une liste, comme l'a constaté un étudiant de Baumeister, après avoir vécu lui-même cette situation avec son épouse, au moment de son mariage, ce qui lui a donné l'idée d'étudier le phénomène. Certains chercheurs lient cette fatigue décisionnelle au taux de glucose tandis que d'autres, comme Todd Heatherton doutaient de cette hypothèse. Mais les travaux d'Heatherton, publiés par l'université de Darmouth en mars 2011, l'ont amené à valider cette théorie, montrant que le taux de glucose en baisse n'empêche pas le cerveau de fonctionner, mais le fait fonctionner de manière différente.

Finalement, la leçon de tout cela selon Baumeister, c'est que les meilleurs décideurs savent quand ils ne doivent pas prendre une décision, ils savent quand ils ne sont pas capables de décider, quand ils ne doivent pas faire confiance à leur propre jugement.....