Un composé chimique utilisé pour stabiliser des particules en suspension s'avère capable de contrôler la croissance de cristaux de glace. C'est ce que viennent de mettre en évidence des chercheurs du CNRS et de Saint-Gobain, en collaboration avec une équipe rattachée au CNRS, à l'INSA Lyon et à l'université Claude Bernard Lyon 1. Étonnamment, il s'agit d'une molécule simple, totalement différente des macromolécules connues jusqu'à présent pour leurs propriétés antigel. Son faible coût de fabrication, sa stabilité et son utilisation aisée sont autant d'atouts qui laissent présager des applications industrielles. Publiés en ligne dans la revue PLoS ONE, ces travaux apportent également de nouvelles pistes pour élaborer des équivalents synthétiques aux protéines antigel, différents de ceux conçus aujourd'hui.

Les conséquences liées à la formation de glace peuvent être multiples et bien souvent dommageables. Dégradation des cellules dans les organismes, détérioration des sols ou des routes dans les régions froides, croissance de cristaux dans les crèmes glacées... sont autant d'exemples où il est souhaitable de contrôler la croissance des cristaux de glace. De nombreux organismes et espèces vivant dans des régions froides se sont adaptés pour contrôler cette croissance: leur résistance aux basses températures est basée sur la présence de protéines antigel qui sont toutes constituées de très longues chaînes organiques, présentant des groupements amphiphiles, c'est-à-dire ayant une partie hydrophile et une autre hydrophobe. Comment ces protéines interagissent-elles avec les cristaux de glace ? Cette question reste mal connue par les scientifiques qui tentent d'identifier le mécanisme de reconnaissance de tels cristaux par les protéines antigel. Par ailleurs, ces protéines étant extrêmement couteuses à extraire, les chercheurs imaginent des équivalents synthétiques, s'inspirant des structures naturelles. Toutes les protéines connues jusqu'à présent pour leur activité "antigel" sont des macromolécules (protéines, glycoprotéines, polysaccharides, etc).

En étudiant la synthèse de matériaux poreux, une équipe menée par Sylvain Deville (1), chercheur CNRS au Laboratoire de synthèse et fonctionnalisation des céramiques (CNRS/Saint-Gobain), en collaboration avec le laboratoire "Matériaux, ingénierie et sciences" (CNRS/INSA Lyon/Université Claude Bernard Lyon 1) a découvert que l'acétate de zirconium, un composé chimique utilisé d'ordinaire pour stabiliser des particules en suspension, exerçait un contrôle de la croissance des cristaux de glace. En effet, ce composé contrôle la morphologie de cristaux de glace obtenus après congélation d'une solution l'associant avec de l'eau. Les cristaux observés après ajout de cette substance s'avèrent très réguliers. En revanche, sans ajout d'acétate de zirconium, les cristaux de glace ne présentent pas de régularité particulière.

Ces résultats se révèlent très surprenants car l'acétate de zirconium est un "sel" (2), un composé simple radicalement différent des macromolécules connues pour leurs propriétés antigel. Il n'était pas connu comme pouvant contrôler la croissance de cristaux de glace. Ce contrôle peut s'effectuer à plusieurs niveaux: limiter la vitesse de croissance des cristaux (on ralentit leur formation), baisser la température de congélation (on retarde leur formation), ou encore contrôler la morphologie des cristaux de glace, comme c'est le cas ici. Il implique une interaction directe avec les cristaux de glace, d'où la surprise des chercheurs de s'apercevoir que des molécules aussi différentes que l'acétate de zirconium et des protéines puissent agir sur la croissance cristalline.

Ce composé présente des avantages indéniables par rapport aux équivalents naturels et synthétiques existant: il est peu coûteux à produire, stable, "simple" et facile d'utilisation. Ces atouts laissent présager de nombreuses applications industrielles. Et, comme il est radicalement différent des substances identifiées et/ou conçues jusqu'à présent, de nouvelles perspectives de recherche sont envisageables pour élaborer d'autres molécules aux propriétés antigel.

Ces travaux ont utilisé l'imagerie et la diffraction par rayons X. Ils ont bénéficié d'un accès au rayonnement X du synchrotron de Grenoble (ESRF) sur la ligne ID19. Ils font l'objet de deux brevets publiés le 1er octobre 2011.

Notes: (1) Lauréat 2011 d'une bourse ERC junior.
(2) En chimie, un sel est un composé ionique composé de cations et d'anions, formant un produit neutre et sans charge nette. Le sel utilisé ici est bien différent du sel de table.

Référence: Ice shaping properties, similar to that of antifreeze proteins, of a zirconium acetate complex. Sylvain Deville, Céline Viazzi, Jérôme Leloup, Audrey Lasalle, Christian Guizard, Eric Maire, Jérôme Adrien, Laurent Gremillard. PLoS ONE. 18 octobre 2011. doi:10.1371/journal.pone.0026474