Alors que, dans la Corne de l'Afrique, des millions de gens sont menacés par la famine, l'aide internationale peine toujours à se matérialiser. Entre la menace d'explosion de la zone euro, la crise des dettes souveraines, le spectre des faillites bancaires et les révolutions en Libye et en Syrie, l'attention des médias et des politiques s'est focalisée sur d'autres problèmes. Cette indifférence traduit une certaine lassitude des opinions publiques des pays riches vis-à-vis de la famine, perçue comme anachronique.

Pourtant, il n'y a pas si longtemps, ce fléau touchait toute l'humanité, comme en attestent les écrits de Malthus et les quelque 100 millions de morts qu'elle engendra au XIXe siècle. De fait, l'Europe n'arriva à s'en débarrasser qu'à partir de la deuxième moitié du XIXe siècle, et le Japon et l'Amérique latine qu'à partir du début du XXe siècle.

Dans les temps modernes, les famines sont heureusement rares, car elles nécessitent la conjonction de plusieurs facteurs. Tout d'abord, il faut une série de mauvaises récoltes, dues soit à des causes naturelles, comme des événements climatiques extrêmes (inondation, sécheresse) ou des maladies (le mildiou de la pomme de terre en Irlande en 1845-1846), soit humaines (guerre civile en Russie en 1921-1922). Ainsi, la crise actuelle est en partie générée par la pire sécheresse qu'ait connue la région en soixante ans.

Mais dans un monde globalisé, une récolte calamiteuse à un endroit de la planète ne suffit pas à provoquer une famine.

QUE LA RÉGION SOIT ISOLÉE

Il faut en plus que la région soit isolée, comme c'est le cas aujourd'hui pour certaines zones du sud de la Somalie qui restent difficiles d'accès du fait du conflit qui y sévit depuis des années, ou de l'Erythrée, qui est un pays fermé.

Finalement, ce sont surtout les mauvaises politiques publiques qui engendrent les famines. Ainsi, la plus meurtrière de l'Histoire, qui fit en Chine entre 15 et 43 millions de morts de 1959 à 1961, est imputable à la politique du Grand Bond en avant de Mao Zedong. Il en va de même pour celle qui frappa l'Union soviétique dans les années 1930, à la suite du premier plan quinquennal de Staline, qui visait à favoriser l'industrie au détriment de l'agriculture.

Dans les deux cas, il s'agissait aussi d'affaiblir des classes sociales perçues comme hostiles au régime. Idem pour celles qui frappèrent le Cambodge des Khmers rouges de 1975 à 1979, la Corée du Nord de 1995 à 2000, ou encore celle qui menace aujourd'hui l'Erythrée, dont le régime nie jusqu'à l'existence de la sécheresse.

Le Prix Nobel d'économie en 1998 Amartya Sen a démontré, en s'appuyant sur l'étude de la famine au Bengale de 1942-1944, que les famines modernes ne sont pas dues au manque de nourriture, mais plutôt aux inégalités provoquées par des mécanismes déficients de distribution de la nourriture.

Ainsi, le prix des céréales a augmenté de 240 % en un an dans la ville de Baidoa, en Somalie, et celui du maïs de 117 % dans certaines régions d'Ethiopie. Cet emballement des prix, caractéristique des famines, affecte beaucoup plus durement les pauvres que les riches et tue, au final, plus d'enfants que d'adultes.

Avec la meilleure compréhension que l'on a du phénomène des famines, tant sur le plan économique que médical, il n'est pas imaginable de ne pas secourir les populations concernées. Cette famine n'a rien d'inéluctable au regard des infrastructures d'aide humanitaire d'urgence et de la capacité de pression politique dont les pays riches et émergents disposent dans le court terme. Dans le long terme, il faut soutenir la démocratie qui, comme l'a démontré Amartya Sen, est l'antidote absolu contre la famine.