Source: Mathieu-Robert Sauvé - Université de Montréal

Diagnostiquée autiste en 1990, Michelle Dawson s'est beaucoup intéressée à la recherche sur sa condition au point d'être aujourd'hui considérée comme une sommité mondiale... sans le moindre diplôme universitaire. "Elle est l'une des chercheuses les plus citées actuellement dans la recherche sur l'autisme", mentionne le Dr Laurent Mottron, psychiatre à l'Hôpital Rivière-des-Prairies et professeur à l'Université de Montréal, qui a signé avec elle 13 articles et d'innombrables chapitres de livres.

Le chercheur présente cette semaine dans Nature un article inspiré de sa collaboration avec son ancienne patiente, intégrée depuis 2004 dans son équipe de recherche. "Michelle Dawson a démontré que l'autisme, lorsqu'il est combiné avec une intelligence extrême et un intérêt pour la science, peut s'avérer une bénédiction (incredible boon) dans un laboratoire", écrit-il dans ce texte intitulé "The Power of Autism" (Nature, vol. 479, p. 33).

L'article, qui pourrait marquer un tournant dans la perception de l'autisme, est un plaidoyer pour "l'intelligence différente" des autistes, un concept que le chercheur défend depuis 20 ans. "L'une des choses que je me suis fait reprocher, notamment par Michelle, c'est que les gens "normaux" veulent évaluer les autistes selon leurs échelles de quotient intellectuel. Cela ne pourra jamais fonctionner", dit-il.

Il ne viendrait plus à l'idée des auteurs du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux d'y aborder l'homosexualité comme une maladie, illustre-t-il. Pourtant, cette condition y a longtemps figuré. L'autisme pourrait un jour sortir de cet ouvrage. "Je ne crois plus que la déficience intellectuelle soit une part intrinsèque de l'autisme", affirme le professeur Mottron dans le texte qui occupe trois pages de la revue savante.

Mme Dawson, ainsi que la dizaine d'autistes avec qui il a travaillé de façon soutenue dans le Laboratoire de neurosciences cognitives des troubles envahissants du développement, lui a ouvert les yeux sur l'attitude "normocentrique" du personnel entourant les autistes. "Seulement 10 % des autistes souffrent d'un désordre neurobiologique qui altère leur intelligence", indique-t-il dans l'article.

Blogueuse et militante

Dans son blogue scientifique The Autism Crisis, Michelle Dawson publie ses analyses de l'évolution de la recherche, ce qui lui vaut des débats avec certains des plus grands spécialistes de l'heure. Pour alimenter son site, elle peut lire trois ou quatre articles par jour. "Elle en a accumulé environ 5000 dans le disque dur de son cerveau, relate le Dr Mottron. C'est plus que n'importe quel expert. Elle peut vous réciter de mémoire des extraits d'un article lu il y a deux ans."

Au début de leur collaboration, Laurent Mottron s'étonnait de voir les habiletés presque surnaturelles de sa patiente, qui commentait la progression de ses travaux. Avec une justesse saisissante, elle soulignait les forces de telle ou telle étude et s'avérait intraitable sur les faiblesses des autres. Elle passait à la moulinette les plus grands noms de la discipline... sans oublier son propre patron. "C'est de loin la meilleure reviewer que je connaisse. Quand je lui fais lire mes articles, je m'attends à être traité de façon impitoyable."

Avec Michelle, tous les chiffres sont passés au peigne fin. Une révision compte jusqu'à 12 pages de notes et 70 annotations. Sont-elles toutes pertinentes? "À des degrés divers, oui. Avec elle, quand on est paresseux ou quand on manque de rigueur, on en prend plein la figure", confesse le chercheur.

C'est par respect de la propriété intellectuelle que le professeur Mottron a ajouté son nom parmi les auteurs des articles produits par son groupe de recherche, qui compte 18 collaborateurs attitrés. "Trop souvent, les employeurs ne réalisent pas ce dont les autistes sont capables et les confinent dans des tâches répétitives ou subalternes, déclare-t-il dans Nature. Mais je suis convaincu que la plupart d'entre eux sont capables de contributions significatives à la société."

Certains ont sourcillé à l'idée qu'une autodidacte participe aux recherches d'un groupe établi. Mais Laurent Mottron n'a aucun mal à défendre cette idée. Aurait-elle pu réussir un parcours scolaire qui l'aurait menée à des diplômes universitaires? Son patron en doute. "Elle en convient elle-même, elle ne comprend pas certaines questions à double sens dans des examens qui semblent élémentaires. Non, franchement, il s'agit d'une intelligence différente que nous avons pour responsabilité, collectivement, de mieux comprendre."

En marge de ses activités de recherche, Mme Dawson milite activement pour une meilleure perception de la communauté qu'elle représente. Elle a d'ailleurs créé le blogue No Autistics Allowed, qui porte sur la discrimination envers les personnes autistes. Le logo: une image de papillon en négatif.