Article par Clément Bosqué co-écrit avec Victoria Rivemale

Dans son ouvrage "Ren@issance mythologique", Thomas Jamet s'intéresse à la façon dont l'ère numérique modifie les mythes de notre société. Selon lui, "l'humanité n'est pas dépassée. Elle est redevenue l'alpha et l'oméga".

Pour Thomas Jamet, dans son ouvrage Ren@issance mythologique (F. Bourin, 2011), la technologie, et particulièrement digitale, nous rend plus forts, plus reliés les uns aux autres à travers l'image et le son. La mort est là, et il faut bien « nous raconter des histoires pour ne pas avoir à affronter la réalité » ! Comment faire, alors que la télévision et internet ont évacué le coin du feu et l'aïeul passeur de récits ? Justement, écrit l'auteur dans une formule heureuse, l'ère digitale est une « ère de revitalisation de l'humanité par un retour aux sources assisté par ordinateur » (p. 178).

Ce livre s’inscrit dans le mouvement de pensée qui, depuis Jung, en passant par Mircea Eliade, Gaston Bachelard, Gilbert Durand et de nos jours Michel Maffesoli, tente de penser l’imaginaire humain, c’est-à-dire de décrire comment l'iréel s’ancre dans le réel et s’y répand puissamment. Le fil conducteur de la pensée de l’imaginaire, que reprend Jamet dans ce livre, est bien résumé dans le titre que Maffesoli donne à la préface qu’il a écrit pour le livre de Thomas Jamet : “l’archaïsme revisité”. Reviennent des choses très vieilles et inévitables : les mythes. Thomas Jamet parle d'une « revanche du muthos sur le logos », autrement dit la revanche du collectif et du non-rationnel sur le rationnel. Revanche du narratif et du synthétique sur le dialectique et l’analytique.

Le digital est une force en soi, et ne fait pas qu'agréger, stocker des vieilles histoires comme le ferait une bibliothèque. La résurgence du mythe par le digital, ce n’est pas le retour d’une rengaine passée de mode qui nous émeut par sa charmante désuétude. Non, le digital régurgite les mythes, les assemble, les vivifie et les rend apte à de nouveaux usages. Barack Obama ou Michael Jackson ne sont pas, rigoureusement, une reprise de tel ou tel personnage mythique : ils s'inscrivent dans un récit qui relève d'un ou plusieurs mythes. Le mythe, comme le symbolique, est l’ordre que nul ne crée et où l’on ne peut que prendre place, embarqué dans le flux collectif. Pour notre époque, il s’agit du flux digital.

N'ayons pas peur de la révolution numérique

Reviennent de vieilles histoires, de vieilles pulsions : émotion, animalité, religiosité. D'une certaine manière « nous vivons une révolution, un état qui nous permet de revenir aux origines ». Mais penser cet esprit d’époque comme une régression dangereuse, ou douloureuse, comme un nouvel obscurantisme à combattre, serait le fait d’esprits fascinés par le siècle des Lumières considéré comme l’unique apogée du génie humain. Ce serait surtout peu courageux : « quoiqu'il arrive à terme [...] la fenêtre est ouverte et il sera impossible de faire marche arrière » écrit Th. Jamet. L’auteur prend donc son courage à deux mains, les plonge dans le cambouis de la machine digitale, regarde bien en face cet écran angoissant.

Le livre foisonne d'exemples concrets et saisissants : Lady Gaga, Schwarzenegger, Robert Johnson et le rock'n'roll, Max et les maximonstres, les vampires, les ovnis, les zombies, Ben Laden, le Diable, Dionysos, la bête du Gévaudan, dieux et monstres de toutes les cultures se côtoient, défilent au long de pages convaincantes, où se glissent les termes anglais - donc barbares ! - geek et marketing, connus et moins connus : « smartphone », « wii », « sextape », « lo-fi », « bit-lit », « brand content », « ATAWAD », « tilt shift », « hashtags ».

Stars, objets, réseaux sociaux ... on comprend petit à petit ce qui nous manipule vraiment quand on ressent confusément qu' « on » nous manipule (en nous vendant « du rêve » comme dit bien l'expression passée dans le langage courant). Les « marques » ne sont pas seulement des entreprises, avides de richesses. Ce sont de nouvelles divinités. Le consommateur n'est pas victime d'une « stratégie ». La publicité nous tente, nous teste, nous convoite, nous aliène, oui. Parce que le besoin de mythe est vivace.

Le numérique marque un retour de l'humain

Fort à propos, à la fin de son livre, Jamet tempère les fantasmes apocalyptiques de compétition homme-machine, ou de cyborgs post-humains, qui accompagnent nécessairement le déferlement du digital. D’ailleurs, le mythe du robot n'est plus à la mode et pour l’auteur « l'humanité n'est pas dépassée. Elle est redevenue l'alpha et l'oméga ». L'auteur manifeste-t-il un enthousiasme excessif ? Faut-il craindre encore le digital et sa force incontrôlable ? Là n’est pas la question, car une pensée de la vigueur du mythe dans la postmodernité n'est pas nécessairement une pensée en faveur de la postmodernité, mais une pensée qui, simplement, ne juge pas avant de connaître la chose - c'est à dire un préjugé. Décrire n'est pas bénir.

Thomas Jamet ne cache pas tout ce que « l'ère digitale » peut avoir d'inquiétant, de dangereux : « il importe d'être vigilant et de ne pas sombrer dans un angélisme qui consisterait à ne voir que des côtés positifs à la révolution que nous vivons » (p. 168). Comme le note P. Virilio, chaque nouvelle technologie a son accident. « Pars construens, pars destruens », dirait M. Maffesoli. Voire : pour l’auteur le mythe s’adosse à la mort, au tragique, naît de la frayeur humaine devant sa condition mortelle, il porte donc en lui avant tout du satanique, « la part du diable » (Maffesoli), l’effrayant… Non pas poubelle du fonds mauvais de l’homme, mais prise en compte global de celui-ci. Mais lui barrer la porte n’est-ce pas s’exposer à de pires dangers ?

Un livre qui ne plaira pas aux catastrophistes...

A qui ce livre ne plaira-t-il pas ? A ceux qui pensent que le monde est fichu et qu'il faut s'émanciper des mensonges que l'homme se taille sur mesure. Aux déconstructionnistes qui combattent toujours et encore l’apparence, rêvent toujours et encore d'un dévoilement definitif. Aux nostalgiques du vrai contact humain, aux écolo-sensibles tentés par la déconnection et l'ascèse (dont Jamet montre avec malice qu'elles ont, elles aussi, quelque chose de mythique !).

A qui ce livre plaira-t-il ? A ceux qui sourient, sans être béats, et croient qu'en effet, peut-être, « l'humain prévaudra malgré tout ». Pourvu qu'on n'oublie pas que « l'homme est une corde tendue entre la bête et le Surhumain – une corde au-dessus d'un abîme. » (Nietzche, Ainsi parlait Zarathoustra).