Des erreurs qui en disent long
Par Benje le dimanche, décembre 4 2011, 15:27 - Nouvelles Scientifiques - Lien permanent
Source: Marie Lambert-Chan - Université de Montréal
Vous arrive-t-il d'oublier d'éteindre la cuisinière ? De chercher vos
lunettes alors que vous les portez déjà ? Ces erreurs qui émaillent le
quotidien sont le lot autant des personnes en bonne santé que des gens
ayant subi une atteinte neurologique. Comment savoir alors si ce type
de distraction est d'origine pathologique et si l'erreur aura un effet
sur l'autonomie de la personne dans sa vie de tous les jours ?
Pourtant, c'est ce que les médecins demandent fréquemment aux
ergothérapeutes. Ceux-ci évaluent la capacité d'un patient qui souffre
d'un déficit cognitif à retourner chez lui en l'observant à partir
d'actions routinières, comme préparer un repas ou s'habiller.
La professeur Carolina Bottari vient de démontrer dans une nouvelle
étude que cette évaluation est plus facile à dire qu'à faire.
Quatre-vingt-dix ergothérapeutes et neuropsychologues devaient analyser
des extraits vidéos d'une à trois minutes
illustrant ce genre d'erreur chez des sujets sains et des patients
ayant eu un traumatisme crânien ou un accident vasculaire cérébral. Les
cliniciens ont attribué seulement 55,6 % des erreurs commises à la bonne
population. "C'est un peu plus que la moitié, mais cela demeure quand
même bas. Ces résultats illustrent toute la complexité de mesurer le comportement humain", fait remarquer celle qui enseigne depuis peu à l'École de réadaptation de l'Université de Montréal.
Les thérapeutes semblent en être conscients. Avant le test, ils ont dû
estimer leur habileté à exécuter cette tâche. Sur une échelle de 1 à 10,
le taux de confiance moyen se situait à 6,36. Après l'exercice, ce
chiffre est passé à 5,16. "Ces cliniciens ont réalisé qu'ils doivent
multiplier leurs observations pour voir si le comportement incorrect se manifeste dans plusieurs tâches et prendre le temps qu'il faut pour noter si le patient élabore des stratégies afin de corriger le tir", indique Carolina Bottari.
Un fait demeure intrigant pour la professeur: les thérapeutes ayant une
grande expérience clinique n'ont pas mieux réussi que les débutants. "En
théorie, plus nous voyons de patients, meilleurs sont nos diagnostics,
affirme-t-elle. Il est possible que, dans leur pratique, les experts
utilisent l'ensemble du contexte,
ce qu'ils ne pouvaient pas faire dans cette étude. Nous analysons
présentement leur processus de raisonnement - qu'ils devaient écrire
pendant l'exercice - pour mieux comprendre cet écart."
Une pratique à revoir
"Les répercussions d'une atteinte cognitive ne sont pas aussi visibles
que celles d'une fracture de la hanche. On doit avoir des outils de
mesure plus poussés pour étudier les comportements, ainsi que des cadres
théoriques pour objectiver nos observations et comprendre ce qui se
passe dans le cerveau", mentionne Mme Bottari.
Le test fait par les patients filmés dans le cadre de sa recherche en
est un exemple. Il consistait à demander au sujet de réaliser certaines
activités dans un milieu réel pour vérifier comment il se débrouille.
"Le patient est-il capable de dresser un plan d'action ? Cette capacité
est souvent altérée à la suite d'une lésion frontale. Le patient, par
exemple, arrivera à l'arrêt d'autobus sans avoir songé à l'horaire ni
apporté d'argent pour payer son billet."
Ce type de test est de plus en plus utilisé par les cliniciens, car il
se révèle souvent plus efficace que les examens sur papier. "Toutefois,
dans le système de santé, on nous demande souvent de faire vite,
constate-t-elle. Mais si je n'ai pas assez de temps, je risque de
surestimer ou de sous-estimer l'importance des erreurs commises par le
patient. Si l'on veut servir correctement la population, on doit mettre
en place les conditions nécessaires pour que les ergothérapeutes
accomplissent bien leur travail."
Les patients avec des atteintes plus subtiles peuvent faire les frais
des lacunes du système, particulièrement les personnes âgées qui vivent
seules. "Si on les renvoie trop tôt chez elles, elles peuvent mal se
nourrir ou oublier de prendre leurs médicaments", dit la professeur, qui
souligne du même souffle l'intérêt d'observer ces patients dans leur
milieu de vie. "Nous devrions le faire surtout pour ceux que l'on
considère comme à risque."
Elle conclut en invitant ses collègues à améliorer leur compréhension
des cadres théoriques liant les troubles cognitifs et les conséquences
au quotidien. "Une simple erreur ne me dira pas tout. Je dois posséder
une bonne connaissance du fonctionnement cérébral et des éléments
contextuels pour analyser cette erreur."
L'étude de Carolina Bottari est publiée dans le dernier numéro d'Occupational Therapy Journal of Research: Occupation, Participation and Health.