Source: Marie Lambert-Chan - Université de Montréal

Vous arrive-t-il d'oublier d'éteindre la cuisinière ? De chercher vos lunettes alors que vous les portez déjà ? Ces erreurs qui émaillent le quotidien sont le lot autant des personnes en bonne santé que des gens ayant subi une atteinte neurologique. Comment savoir alors si ce type de distraction est d'origine pathologique et si l'erreur aura un effet sur l'autonomie de la personne dans sa vie de tous les jours ?

Pourtant, c'est ce que les médecins demandent fréquemment aux ergothérapeutes. Ceux-ci évaluent la capacité d'un patient qui souffre d'un déficit cognitif à retourner chez lui en l'observant à partir d'actions routinières, comme préparer un repas ou s'habiller.

La professeur Carolina Bottari vient de démontrer dans une nouvelle étude que cette évaluation est plus facile à dire qu'à faire. Quatre-vingt-dix ergothérapeutes et neuropsychologues devaient analyser des extraits vidéos d'une à trois minutes illustrant ce genre d'erreur chez des sujets sains et des patients ayant eu un traumatisme crânien ou un accident vasculaire cérébral. Les cliniciens ont attribué seulement 55,6 % des erreurs commises à la bonne population. "C'est un peu plus que la moitié, mais cela demeure quand même bas. Ces résultats illustrent toute la complexité de mesurer le comportement humain", fait remarquer celle qui enseigne depuis peu à l'École de réadaptation de l'Université de Montréal.

Les thérapeutes semblent en être conscients. Avant le test, ils ont dû estimer leur habileté à exécuter cette tâche. Sur une échelle de 1 à 10, le taux de confiance moyen se situait à 6,36. Après l'exercice, ce chiffre est passé à 5,16. "Ces cliniciens ont réalisé qu'ils doivent multiplier leurs observations pour voir si le comportement incorrect se manifeste dans plusieurs tâches et prendre le temps qu'il faut pour noter si le patient élabore des stratégies afin de corriger le tir", indique Carolina Bottari.

Un fait demeure intrigant pour la professeur: les thérapeutes ayant une grande expérience clinique n'ont pas mieux réussi que les débutants. "En théorie, plus nous voyons de patients, meilleurs sont nos diagnostics, affirme-t-elle. Il est possible que, dans leur pratique, les experts utilisent l'ensemble du contexte, ce qu'ils ne pouvaient pas faire dans cette étude. Nous analysons présentement leur processus de raisonnement - qu'ils devaient écrire pendant l'exercice - pour mieux comprendre cet écart."

Une pratique à revoir

"Les répercussions d'une atteinte cognitive ne sont pas aussi visibles que celles d'une fracture de la hanche. On doit avoir des outils de mesure plus poussés pour étudier les comportements, ainsi que des cadres théoriques pour objectiver nos observations et comprendre ce qui se passe dans le cerveau", mentionne Mme Bottari.

Le test fait par les patients filmés dans le cadre de sa recherche en est un exemple. Il consistait à demander au sujet de réaliser certaines activités dans un milieu réel pour vérifier comment il se débrouille. "Le patient est-il capable de dresser un plan d'action ? Cette capacité est souvent altérée à la suite d'une lésion frontale. Le patient, par exemple, arrivera à l'arrêt d'autobus sans avoir songé à l'horaire ni apporté d'argent pour payer son billet."

Ce type de test est de plus en plus utilisé par les cliniciens, car il se révèle souvent plus efficace que les examens sur papier. "Toutefois, dans le système de santé, on nous demande souvent de faire vite, constate-t-elle. Mais si je n'ai pas assez de temps, je risque de surestimer ou de sous-estimer l'importance des erreurs commises par le patient. Si l'on veut servir correctement la population, on doit mettre en place les conditions nécessaires pour que les ergothérapeutes accomplissent bien leur travail."

Les patients avec des atteintes plus subtiles peuvent faire les frais des lacunes du système, particulièrement les personnes âgées qui vivent seules. "Si on les renvoie trop tôt chez elles, elles peuvent mal se nourrir ou oublier de prendre leurs médicaments", dit la professeur, qui souligne du même souffle l'intérêt d'observer ces patients dans leur milieu de vie. "Nous devrions le faire surtout pour ceux que l'on considère comme à risque."

Elle conclut en invitant ses collègues à améliorer leur compréhension des cadres théoriques liant les troubles cognitifs et les conséquences au quotidien. "Une simple erreur ne me dira pas tout. Je dois posséder une bonne connaissance du fonctionnement cérébral et des éléments contextuels pour analyser cette erreur."

L'étude de Carolina Bottari est publiée dans le dernier numéro d'Occupational Therapy Journal of Research: Occupation, Participation and Health.