Comment apprenons-nous à marcher ?
Par Benje le mardi, décembre 13 2011, 23:05 - Nouvelles Scientifiques - Lien permanent
Source: BE Italie numéro 98 (5/12/2011) - Ambassade de France en Italie / ADIT - http://www.bulletins-electroniques.com/ ... /68412.htm
C'est dès la naissance que les bébés apprennent à marcher, tout comme
les petits des rats. En fait les circuits nerveux qui contrôlent la
locomotion sont identiques, mêmes si l'on parle de deux espèces
distantes de plusieurs millions d'années sur le plan de l'évolution. La
découverte italienne a été réalisée dans les laboratoires de la
Fondation Santa Lucia et de l'université Tor Vergata de Rome.
L'étude, coordonnée par Nadia Dominici et publiée sur Science, analyse
le développement du processus de locomotion humaine, en comparaison avec
d'autres mammifères et oiseaux. Le mouvement, disent les chercheurs,
est une question de cerveau: tout dépend des impulsions électriques que
les neurones envoient aux muscles. En enregistrant ces signaux
électriques, il est possible de reconstruire les circuits nerveux qui
contrôlent le mouvement des bras et des jambes.
Dominici a posé des électrodes sur le corps de nouveaux nés, d'enfant en
âge préscolaire, et d'adultes, dans le but d'enregistrer l'activité
cérébrale générée par 24 différents muscles squelettiques. Les enfants à
peine nés, ne savent pas marcher. Cependant, en les tenant debout et en
les posant sur une surface plane, ils commencent à plier les jambes, comme pour réaliser des pas, illustrant le réflexe de marcher.
En analysant l'activité électrique enregistrée, les chercheurs ont
montré que chez les nouveaux nés, le réflexe du mouvement est contrôlé
par les neurones de la moelle épinière ; ils s'activent ainsi en deux
phases: la première demande aux muscles des jambes de se plier et de
s'étendre, alors que la seconde coordonne le mouvement entre la jambe
gauche et la jambe droite. Au fur et à mesure que les enfants
grandissent, ce processus devient plus complexe et implique d'autres
types de neurones: sous médullaires, inter médullaires et sensoriels.
Chez les enfants en âge préscolaire, aux deux phases néonatales,
s'ajoutent deux phases supplémentaires qui servent
à affiner le mouvement, comme celle qui indique au talon de se soulever
avant que la jambe commence à se plier. Les quatre phases, puis celles
qui s'ajoutent après lors de la croissance, permettent de perfectionner
le processus de locomotion chez l'adulte.
Ces résultats montrent que le développement de la locomotion est un
processus conservatif. Jusqu'à présent, on pensait que chez les adultes
les circuits nerveux à la base du mouvement se formaient à partir de
zéro, et étaient complètement différents de ceux actifs chez les bébés. On sait maintenant que durant la croissance rien ne se perd: le réseau du signal électrique qui va des neurones aux muscles n'est autre qu'une version modifiée du réseau néonatal.
Et ce qui est valable pour le développement est aussi valable pour
l'évolution. Pour avoir un panorama plus large des mécanismes de
locomotion du règne animale, les chercheurs ont analysés l'activité
électrique enregistrée chez les chats, les rats, les macaques rhésus et
des poules de Guinée (l'unique autre espèce de bipède étudié en plus de
l'être humain). Il en est ressorti que les deux phases d'activité des
circuits électriques des rats, à peine nés, sont identiques à celles des
nouveaux nés humains.
Arrivé à l'âge adulte, les quatre phases d'actions commencent à se
différencier, chez les rats comme chez les autres animaux. L'explication
probable est que, chez l'homme la re-modulation des circuits nerveux
doit faire face à un problème que les quadrupèdes et les bipèdes comme
les oiseaux n'ont pas: ajuster le mouvement des bras pour déplacer des
objets.
Malgré cette différence, les chercheurs sont restés très surpris par la
découverte des similitudes entre les processus qui contrôlent la
locomotion animale. On parle d'espèces éloignées de millions d'années,
qui ont hérité la coordination de l'activité musculaire des circuits
nerveux primaires d'un très vieil ancêtre commun. Et même si chaque
espèce a appris à marcher avec "ses propres jambes", de manière
différente et selon des considérations génétiques et morphologiques, il
est vrai que nous partons tous d'une base commune: les vieux éléments ne
sont pas éliminés en faveur d'un réseau totalement nouveau, mais ils
s'adaptent à affronter de nouveaux problèmes plus efficacement.