Source: Daniel Baril - Université de Montréal

Tout le monde est capable de chanter, mais tout le monde n'arrive pas à chanter juste. C'est le cas même avec des chansonnettes très simples comme Joyeux anniversaire. Pourquoi y a-t-il de mauvais chanteurs ?

On croit souvent que ceux qui n'arrivent pas à chanter juste ont un problème de perception et c'est ce que la plupart des études sur le sujet ont cherché à vérifier. Ce qu'il conviendrait de qualifier de croyance intuitive semble sans fondement, selon une recherche postdoctorale effectuée par Sean Hutchins au Laboratoire international de recherche sur le cerveau, la musique et le son (BRAMS).

Dans un premier temps, Sean Hutchins a demandé à un groupe de musiciens et à un groupe de non-musiciens de reproduire vocalement une note qu'on leur faisait entendre. Par la suite, on leur a demandé de reproduire cette note à l'aide d'un appareil électronique. Cet appareil permet de produire un son d'une fréquence très grave à très aigüe en glissant le doigt de façon continue sur une bande tactile. Les non-musiciens ont réussi la tâche vocale dans une proportion de 59 %. En revanche, la réussite grimpe à 97 % lorsqu'il s'agit de reproduire la note à l'aide du synthétiseur. Les musiciens ont eux aussi mieux performé avec le synthétiseur, bien que leur habileté vocale ait été supérieure à celle des non-musiciens. "Cela nous montre que, pour presque tous les sujets, le son est correctement perçu", souligne Sean Hutchins.

L'expérience a été reprise en faisant entendre aux sujets l'enregistrement de leur propre production vocale et en leur demandant de répéter la même note vocalement et à l'aide du synthétiseur. Les sujets ont de nouveau mieux réussi la tâche à l'aide du synthétiseur, mais leurs performances vocales ont été supérieures à celles de la première expérience, ce qui montre que même ceux considérés comme de mauvais chanteurs ont eu plus de facilité à reproduire leur propre voix qu'une note produite de façon électronique.

Trois types de causes

Trois autres expériences ont été réalisées afin de contrôler les divers facteurs pouvant être en cause dans les difficultés à reproduire correctement la note entendue. Pour 40 % des sujets, l'ensemble des tâches a été réussi, que ce soit avec le synthétiseur ou avec la voix.

Trois catégories ressortent du côté de ceux qui ont éprouvé des difficultés dans l'une ou l'autre des tâches et qui n'arrivent donc pas à chanter juste. Deux des 31 sujets ont échoué, même après de multiples tentatives, à chacune des tâches, tant à l'aide du synthétiseur que de façon vocale et que ce soit à partir d'une note électronique ou de leur propre voix. Des tests ont par la suite montré qu'ils souffraient d'amusie congénitale.

Près de 20 % des participants ont par ailleurs réussi sans difficulté à reproduire la note à l'aide du synthétiseur, mais n'y sont pas parvenus avec leur voix. "Ces personnes n'ont donc pas de problème de perception, souligne le chercheur. Dans leur cas, la difficulté à reproduire la note juste relève plutôt d'un problème sur le plan du contrôlemoteur de la voix."

Finalement, 35 % des participants sont parvenus à reproduire correctement à la fois de façon vocale et à l'aide du synthétiseur la note produite par leur voix, mais n'y sont pas parvenus lorsque la note était produite de façon électronique. "Ces résultats montrent que ces personnes n'ont pas de problème de perception ni de contrôle moteur de la voix, mais éprouvent des difficultés à traduire le timbre exact d'une note dans le mode vocal."

Le timbre est ce qui constitue la "couleur" ou la richesse du son et qui fait qu'une même note jouée par des instruments différents n'aura pas la même sonorité. "Il nous apparait ainsi évident que la perception et la production des sons relèvent de deux habiletés distinctes et que les mauvais chanteurs ne doivent pas leurs pauvres performances à une mauvaise audition", conclut le chercheur. Cette recherche, qui vient d'être publiée dans le Journal of Experimental Psychology, était dirigée par Isabelle Peretz, professeur au Département de psychologie de l'UdeM et codirectrice du BRAMS.