Schizophrénie: l'expérience acquise ne sert pas la sociabilité
Par Benje le samedi, décembre 24 2011, 11:44 - Nouvelles Scientifiques - Lien permanent
Source: CNRS
La schizophrénie est une maladie mentale qui affecte profondément les
interactions sociales. Des études récentes ont montré que les personnes
atteintes ont du mal à attribuer des intentions à autrui. L'une des
causes de cette difficulté vient d'être révélée par des chercheurs du
Centre de recherches cerveau et cognition (CNRS/Université Toulouse 3
Paul Sabatier) et du Centre de neuroscience cognitive de Lyon
(CNRS/Université Claude Bernard Lyon 1)(1). Ils ont montré que
les patients schizophrènes utilisent de façon inappropriée leur
expérience passée pour comprendre les intentions des autres. Ces
résultats sont publiés dans la version en ligne de la revue Brain.
Lorsque quelqu'un se lève de son siège dans le métro, il peut vouloir
sortir au prochain arrêt ou bien vous céder sa place. Reconnaître les
intentions d'autrui est une habileté fondamentale
pour vivre en communauté. Dans un précédent papier, la même équipe
proposait un nouveau paradigme expliquant comment nous y parvenons.
Cette capacité proviendrait de deux types d'informations. L'information
visuelle tout d'abord, qui provient de l'observation des mouvements
d'autrui. Mais nous avons aussi besoin
d'informations à priori issues de nos connaissances et expériences
passées et emmagasinées par notre cerveau. Difficile sans cela
d'interpréter l'information sensorielle qui souvent nous arrive de façon
parcellaire.
Les chercheurs ont fait l'hypothèse que ces deux types d'informations
sont mal utilisés chez les patients schizophrènes, ce qui expliquerait
pourquoi ils ont du mal à reconnaître les intentions d'autrui. Pour
cela, ils l'ont testée sur des patients présentant divers symptômes de
la schizophrénie: négatifs (perte d'intérêt, retrait social), positifs
(hallucinations, délires), ou de désorganisation (discours incohérent,
phénomène du "coq à l'âne"). Les patients visionnaient d'abord plusieurs
vidéos montrant des acteurs manipulant des objets avec différentes
intentions. Certaines d'entre elles étaient présentées plus fréquemment
afin de manipuler l'information à priori. Ensuite, les patients
visionnaient à nouveau les séquences, mais cette fois-ci tronquées. Les
chercheurs contrôlaient ainsi la quantité d'information visuelle mise à la disposition des patients. Ces derniers devaient alors deviner les intentions des acteurs.
Les chercheurs ont ainsi découvert que les patients schizophrènes
présentent une mauvaise utilisation des informations à priori. Les
patients aux symptômes négatifs sous-utilisent ces données issues de
l'expérience, comme s'ils n'avaient aucune expectative sur les
intentions d'autrui. À l'inverse, ceux présentant des symptômes positifs
ou désorganisés sur-utilisent les informations à priori au détriment de
l'information visuelle. Ce que perçoivent leurs sens ne semble pas
remettre en cause leurs convictions ou croyances. Dans tous les cas, un
déséquilibre dans l'interaction entre l'information visuelle et
l'information à priori conduit à des erreurs d'interprétation sur les
intentions d'autrui.
Ces résultats pourraient être à la base de nouvelles stratégies de
thérapie cognitive permettant au patient d'améliorer son aptitude à
utiliser son expérience et de diminuer ses difficultés à reconnaître les
intentions d'autrui, symptôme sur lequel les traitements
pharmacologiques n'agissent pas. De plus, ce paradigme pourrait aussi
être valable pour l'autisme, maladie ayant de fortes similarités avec
les symptômes négatifs de la schizophrénie.
Note: (1) En collaboration avec l'Institut Jean-Nicod (CNRS/EHESS/ENS, Paris),
le Centre Hospitalier le Vinatier à Lyon et la Faculté de Médecine de
Rangueil à Toulouse.
Référence: Chambon V, Pacherie E, Barbalat G, Jacquet P, Franck N, and Farrer C.
Mentalizing Under Influence: Abnormal Dependence on Prior Expectations
in Patients with Schizophrenia. Brain, en ligne le 28 novembre 2011.