Notre système endocrinien a de la mémoire !
Par Benje le lundi, janvier 9 2012, 01:13 - Nouvelles Scientifiques - Lien permanent
Source: CNRS
Quand on vous parle de mémoire, vous pensez au cerveau ! Peut-être aussi
à notre système immunitaire qui garde en mémoire certaines informations
pour réagir de manière plus efficace lorsqu'un virus ou une bactérie
nous infecte une deuxième fois. Mais auriez-vous imaginé que nos glandes
endocrines se souviennent également de certaines choses ? A l'instar du
cerveau, une équipe de chercheurs de l'Inserm et du CNRS dirigée par
Patrice Mollard à l'Institut de génomique fonctionnelle1(Montpellier)
vient de montrer, chez la souris, que les cellules endocrines
hypophysaires qui régulent la lactation s'organisent en réseau lors d'un
premier allaitement. Ce réseau est alors conservé, comme "mis en
mémoire" pour être encore plus opérationnel lors de l'allaitement d'une
seconde portée. C'est la première fois qu'une forme de mémoire dans le
système endocrinien est mise en évidence. Ces travaux font l'objet d'un
article publié dans la revue Nature communications datée du 3 janvier 2012.
La plasticité des systèmes biologiques permet à des organismes de
modifier dynamiquement leur physiologie de façon à s'adapter aux
conditions environnementales existantes. Au niveau cellulaire, ce
processus est associé habituellement au système immunitaire ; au niveau
tissulaire, il a été caractérisé il y a plusieurs années dans le cerveau
et est au cœur d'une intense recherche en neurobiologie. En dehors de
ces deux systèmes permettant de garder en mémoire des informations à long terme, rien n'indiquait que d'autres cellules pouvaient fonctionner de façon similaire.
L'hypophyse est un organe qui constitue un modèle idéal pour vérifier
cette hypothèse car elle comprend des populations distinctes de cellules
endocrines organisées en réseaux et qui régulent une multitude de
fonctions physiologiques par la sécrétion de différentes hormones.
L'équipe de Patrice Mollard à Montpellier a travaillé avec celle de Paul
Le Tissier à Londres (NIMR-MRC2) afin de déterminer si les réseaux de
cellules endocrines possèdent des capacités de mémorisation. Ils ont pris comme modèle les cellules qui sécrètent la prolactine (l'hormone de la lactation). La sécrétion de prolactine commande un éventail de réponses cruciales pour permettre de nourrir des souriceaux, comprenant la production de lait.
La production de prolactine et donc de lait maternel chez la souris est
stimulée d'une part, par la levée d'un signal inhibiteur
(dopaminergique) provenant du cerveau et d'autre part, par le phénomène
de tétée. Grâce à l'imagerie calcique à deux photons,
les chercheurs ont pu distinguer les interactions entre les cellules
productrices de prolactine, avant, pendant et après une période
d'allaitement.
Avant l'allaitement, ces cellules sont faiblement connectées les unes
des autres. Au moment de l'allaitement, les cellules répondent à la
lactation en augmentant la communication intercellulaire coordonnée, la
connectivité fonctionnelle et la production tissulaire.
L'originalité de cette découverte réside dans le fait que 3 mois après le sevrage, le réseau
reste en place, comme s'il avait été mis en mémoire. "Par la suite,
explique Patrice Mollard, un même stimulus (tétée) entraînera une
réponse plus coordonnée et plus efficace. Le réseau sécrétera plus de
prolactine et provoquera à nouveau un accroissement de la production
tissulaire."
Toutefois cette mise en réseau ne se produit pas si la puissance du
stimulus de tétée est réduite. Chez les souris dont les portées sont
souvent importantes (8 petits par portée en moyenne), si, seuls 3 petits
sont mis à la tétée, le stimulus est trop faible pour déclencher cette
mise en réseau.
C'est la première fois que des chercheurs mettent en évidence une forme
de mémoire dans un tel système. "Il ouvre un champ des possibilités
assez immense. Nous pensons que cette découverte pourrait notamment
s'appliquer à d'autres systèmes endocriniens tels que celui des cellules
bêta pancréatiques et les cellules endocrines du tractus
gastro-intestinal", concluent les auteurs.
Notes: (1) CNRS / Inserm / Universités de Montpellier 1 & 2)
(2) MRC National Institute for Medical Research
Références: Existence of long-lasting experience-dependentplasticity in endocrine cell networks
David J. Hodson et al. Nature communications