Jean-Yves Nau

Cela va sans dire, mais c'est peut-être mieux en le disant. Une nouvelle étude vient confirmer de manière précise et concrète une série d'éléments connus. 

Quantifier le risque infectieux autant que faire se peut. Un groupe de médecins et de chercheurs américains et africains vient de fournir pour la première fois une série de données précises et concrètes concernant les risques de contamination sexuelle du virus du sida entre hommes et femmes.

Leurs résultats confortent pour l’essentiel les principaux messages de prévention diffusés depuis l’émergence de cette pandémie. Ils mettent aussi clairement en lumière le rôle essentiel joué par la charge virale (quantité de virus présente dans le sang et les liquides biologiques) du partenaire infecté vis-à-vis de celui qui ne l’est pas.

Corollaire: ils définissent avec précision les axes de lutte préventive et soulignent l’importance qu’il faut accorder, parallèlement au préservatif et à la circoncision, aux traitements antirétroviraux qui permettent de réduire cette charge et donc le risque de contamination.    

Une nouvelle étape

Ces résultats, publiés le 12 janvier sur le site du Journal of Infectious Diseases, confirment une série d’éléments déjà connus. Pour autant, réunis de manière synthétique à partir d’une seule étude conduite en Afrique, ils marquent, à leur manière, une nouvelle étape dans la perception que l’on peut avoir de ce risque infectieux et des stratégies devant être développées pour réduire le risque de contamination.

Ce travail a été conduit sous la responsabilité du biostatisticien James P. Hughes (université de Washington, Fred Hutchinson Cancer Research Center; Seattle). Les recherches ont été menées en collaboration étroite avec des médecins hospitalo-universitaires de Johannesburg et de Nairobi ainsi que du Rwanda et de Zambie. Comme de nombreuses études sur le sida conduites sur le sol africain, le financement a été assuré par la Fondation Melinda & Bill Gates ainsi que par les Instituts nationaux américains de la santé.

Les auteurs rappellent que la connaissance des différents facteurs pouvant jouer un rôle sur le degré de virulence du VIH est un élément essentiel pour définir ce que peuvent être les différentes stratégies de lutte contre la pandémie. Ils ont analysé les données résultant d’une étude prospective conduite sur 3.297 couples homme-femme séro-discordants (un partenaire infecté, l’autre pas) au moment de leur recrutement. Des prélèvements réguliers ont été effectués pour mesurer la charge virale des partenaires infectés ainsi que des tests génétiques pour confirmer le cas échéant la transmission du VIH à son partenaire. De nombreuses données étaient d’autre part recueillies concernant le nombre et la fréquence des rapports sexuels, le recours aux préservatifs masculins ou la pratique de la circoncision. Durant la durée de l’étude, 86 contaminations ont été recensées.

Après analyse de l’ensemble de leurs données (et en tenant compte de tous les possibles biais comportementaux et statistiques), les auteurs démontrent de manière statistique le poids respectif de différents facteurs sur lesquels il est possible de peser pour réduire le risque de transmission du VIH par voie sexuelle.

1 cas de transmission pour 900 actes sexuels

Chez les personnes infectées, il s’agit du recours au préservatif et du niveau de la charge virale (à réduire grâce aux antirétroviraux). Chez les partenaires non infectés, il s’agit du traitement des diverses autres infections sexuelles (dues à herpes simplex virus 2 et au trichomonas, ulcères génitaux, infections vaginales ou cervicales) ainsi, chez les hommes, que du recours à la circoncision; autant de lésions qui correspondent à des taux élevés de transmission virale.

En pratique, cette étude conclut (ce ne sont là que des moyennes statistiques) à un taux de transmission du VIH dans les couples séro-discordants à environ 1 pour 900 actes sexuels.

Plus la charge virale chez le partenaire infecté est élevée et plus le risque de transmission est élevé. L’homme infecté apparaît deux fois plus susceptible de transmettre le VIH qu’une femme séropositive à son partenaire non infecté. Cette différence semble due à la différence de charge virale entre hommes et femmes.

L'âge avancé des partenaires est associé à une transmission réduite par voie sexuelle. La circoncision masculine réduit en moyenne la transmission d'environ 47%. Enfin les résultats confirment et rappellent que les préservatifs masculins restent la meilleure protection contre le VIH avec, dans cette étude une réduction de 78% du nombre de transmissions chez les couples qui y ont le plus fréquemment recours.

En France, l'étude Ipergay

Le hasard veut que cette publication coïncide avec le lancement, en France, d’une première étude qui concerne le recours aux thérapies antirétrovirales à des fins non plus thérapeutiques mais préventives.

Un appel à volontaires vient d’être lancé pour cette étude dénommée Ipergay (Intervention préventive de l'exposition aux risques avec et pour les gays). Elle se fonde sur le fait que parmi les 6.300 nouveaux cas d’infections par le VIH diagnostiqués annuellement en France, 40% touchent des hommes ayant des relations sexuelles avec les hommes (HSH). Les dernières enquêtes montrent aussi, dans ce groupe, une augmentation du nombre moyen de partenaires et de pénétrations anales non protégées.

On sait par ailleurs que la prise d’un antirétroviral en prophylaxie peut réduire jusqu’à 44% le risque de contamination par le VIH. Seuls deux HSH sur trois déclarent utiliser un préservatif lors de tous leurs rapports sexuels avec des partenaires occasionnels. Les participants prendront leur traitement pendant les périodes d’activité sexuelle, stratégie qui selon les promoteurs «permet d'éviter les contraintes d'une prise en continu d'antirétroviraux, qui favoriser ainsi une bonne observance, accroît la responsabilisation, limite les effets indésirables possibles, ainsi que les coûts».

Faute de pouvoir, semble-t-il, augmenter la fréquence du recours au préservatif dans la population la plus directement concernée, les promoteurs de l’Ipergay font valoir que cet essai dans la population gay et HSH répond bel et bien à «un impératif de santé publique».

Certains font ici le parallèle avec le recours (contre le paludisme) aux médicaments antipaludéens pris à titre préventif le temps du risque d’exposition aux piqûres d’anophèles infectées par un plasmodium. Ce parallèle peut à bien des égards être critiqué. Quoi qu’il en soit, c’est la première fois que l’on développe une telle stratégie médicamenteuse contre une maladie virale sexuellement transmissible; une maladie contre laquelle on dispose d’un moyen préventif peu coûteux ayant depuis un quart de siècle amplement fait la preuve de leur efficacité, dès lors qu’il était utilisé.