L'expression faciale révèle divers aspects de la douleur
Par Benje le lundi, janvier 30 2012, 00:52 - Lien permanent
Source: Daniel Baril - Université de Montréal
On sait que la douleur revêt un aspect à la fois sensoriel et affectif,
cette seconde composante pouvant atténuer ou augmenter la sensation de
douleur. Une douleur musculaire de même intensité ne sera pas ressentie
de la même façon si elle est due à une blessure ou à la pratique
intensive et volontaire d'une activité physique inhabituelle.
"L'intensité de la douleur peut être comparable au volume d'un son alors que sa dimension
affective peut être comparée au caractère agréable ou désagréable du
même son", explique Pierre Rainville, professeur au Département de
stomatologie et chercheur au Centre de recherche sur le système nerveux
central. Les composantes sensorielle et affective de la douleur sont
intimement liées, mais peu d'études ont recherché les corrélats de ces
deux facteurs dans l'expression faciale.
Intensité et émotion se lisent sur le visage
L'intérêt, pour la recherche, de réussir à bien saisir la subtilité des signaux faciaux associés à la douleur est d'en arriver à mieux décoder ce qu'éprouvent réellement les patients, notamment ceux aux prises avec des difficultés d'expression verbale.Miriam Kunz a réalisé l'une des premières études sur ce sujet alors qu'elle était chercheuse postdoctorale au Centre de recherche de l'Institut universitaire de gériatrie de Montréal (CRIUGM) sous la direction du professeur Rainville.
En recourant à des suggestions hypnotiques, Pierre Rainville a amené une vingtaine de sujets à augmenter soit l'intensité, soit l'aspect désagréable d'une sensation de chaleur produite par l'application d'une plaque chaude de trois centimètres carrés sur la jambe. Une caméra filmait le visage des sujets et les variations dans l'expression de la douleur étaient évaluées à l'aide d'un programme spécialement conçu pour analyser les mouvements des muscles faciaux.
"L'expression de la douleur présente une configuration qui la distingue de la colère, de la peine ou de l'anxiété même si certaines de ses composantes se trouvent aussi dans ces autres émotions", précise le chercheur. L'analyse des expressions montre que le conditionnement amplifiant la sensation de douleur amène les sujets à contracter davantage les muscles autour des yeux. L'amplification émotive de la douleur cause pour sa part une contraction des muscles des sourcils et des muscles produisant la ride de chaque côté des narines qui entraine l'élévation de la lèvre supérieure.
"Ces deux aspects de la douleur sont donc encodés différemment dans l'expression faciale qui joue un rôle indispensable dans nos rapports sociaux", souligne le chercheur.
Inhibition plus grande chez les stoïques
En recourant à l'imagerie cérébrale, l'équipe de Pierre Rainville,
toujours avec Miriam Kunz en tête, a voulu vérifier si l'expression
faciale rendait correctement ce que le sujet éprouve réellement. Dans
les milieux cliniques, une telle information est essentielle afin de
pouvoir évaluer adéquatement ce qu'un patient exprime par divers
signaux, qu'ils soient verbaux ou sensorimoteurs.
Trente-quatre sujets manifestant diverses intensités d'expression
faciale de la douleur ont été retenus pour cette étude réalisée à
l'Unité de neuro-imagerie fonctionnelle du CRIUGM. L'expérience a mis au jour deux mécanismes distincts qui entrent en action dans l'expression de la douleur.
"De façon générale, l'expression faciale est proportionnelle à l'activation
cérébrale des régions nociceptives, affirme Pierre Rainville.
Toutefois, les sujets stoïques chez qui l'expression faciale est faible
et qui disaient ressentir la même intensité de douleur que les autres
présentent une activité neuronale plus intense dans une zone du cortex
préfrontal médian. D'autre part, ceux dont la réaction faciale est plus
forte ont plus d'activation neuronale dans le cortex moteur
primaire. La zone plus fortement activée chez les individus stoïques
est donc une zone d'inhibition des réponses automatiques et non une zone
d'inhibition de la douleur."
Selon le chercheur, ces résultats apportent une base objective aux
mesures subjectives de la douleur et peuvent avoir des retombées
cliniques intéressantes. "En gérontologie, par exemple, il arrive que
des patients en début de démence donnent l'impression d'exagérer leur
expression faciale de la douleur. Le personnel peut alors avoir tendance
à discréditer cette réaction et à se fier plutôt à l'évaluation
verbale. Mais l'évaluation verbale peut être incohérente à cause d'une
perte d'habileté à bien juger l'intensité de la douleur. L'expression
faciale, même modifiée par une perte d'inhibition dans le cortex
préfrontal, serait alors plus fiable."
Ces deux recherches postdoctorales ont été publiées respectivement dans le numéro du 21 novembre de la revue Pain et dans celui du 15 juin du Journal of Neuroscience.