Matériaux fragiles: les fissures vont moins vite que prévu
Par Benje le lundi, janvier 30 2012, 00:46 - Nouvelles Scientifiques - Lien permanent
Source: CNRS
Des chercheurs du CEA-IRAMIS (1) et des laboratoires SVI (2) (CNRS/Saint-Gobain) et LTDS (3)
(CNRS/Ecole Centrale de Lyon/Ecole Nationale d'Ingénieurs de
Saint-Etienne), viennent de démontrer que lors de la fracture d'un
matériau fragile, la vitesse des fissures est quatre fois moins élevée que ce que l'on soupçonnait théoriquement. Tant du point de vue de ses résultats que de la méthodologie employée, cette étude devrait bénéficier aux nombreux travaux en science et ingénierie des matériaux. Elle fait l'objet d'un article qui vient d'être publié dans la revue PNAS.
Les matériaux fragiles, par exemple le verre,
se cassent par propagation de fissures. Prévoir le comportement à la
rupture de tels matériaux nécessite notamment de connaître la vitesse
d'avancée de la fissure et de comprendre les facteurs dont elle dépend.
Jusqu'à présent, les connaissances théoriques se fondaient sur une
vitesse maximale égale à celle des ondes acoustiques de surface dans le matériau, dite "vitesse de Rayleigh". Les chercheurs qui ont travaillé à l'étude relatée dans PNAS
ont montré que la vitesse des microfissures engendrées sur des défauts
du matériau et observées à une échelle suffisamment fine pour pouvoir
être isolées les unes des autres, est en fait quatre fois plus faible
qu'attendu ! C'est par un effet géométrique de rencontre de ces
multiples microfissures que la fracture globale est finalement si
rapide.
Pour obtenir ce résultat, les chercheurs ont cassé des échantillons de plexiglas® en variant la force effectivement appliquée pour ouvrir la fissure. Ils observent logiquement que l'échantillon
se rompt d'autant plus vite que la force appliquée est élevée. Au-delà
d'une certaine vitesse de rupture, la propagation de la fissure
s'accompagne de la naissance, sur de minuscules défauts toujours
présents dans le matériau, d'une multitude de microfissures en avant du
front de fissure principal. Ces microfissures se créent au rythme de
centaines de millions par seconde (soit un temps
caractéristique de 10 nanosecondes), ce qui rend impossible leur suivi
en temps réel au cours de l'expérience. Cependant chaque microfissure
laisse son empreinte sur les surfaces de rupture, que les chercheurs ont tout le temps d'analyser après
l'expérience.
Les chercheurs ont ainsi pu reconstruire en détail la série d'événements
ayant amené à une rupture rapide. Il est en effet possible, à partir de
la géométrie du réseau
d'empreintes, de déterminer le point origine de chacune des
microfissures, la chronologie de leurs naissances, et finalement la
vitesse à laquelle chacune s'est développée.
Leurs observations
remettent en cause la vision classique de la rupture d'un matériau.
Surprise, toutes les microfissures se propagent à la même vitesse,
d'environ 200 m/s, indépendamment du niveau de force appliquée pour
ouvrir la fissure principale (pour une vitesse de Rayleigh de l'ordre de
900 m/s). Ce comportement observé à l'échelle microscopique est très
différent de celui observé à grande échelle,
où la vitesse de fracture augmente avec la force, et peut atteindre des
valeurs bien supérieures pouvant atteindre 500 m/s. C'est en fait par
la coalescence des microfissures avec la fissure principale, que la
vitesse de fissuration apparente est augmentée. Ces résultats
contredisent l'opinion qui prévalait jusque-là dans la communauté scientifique, selon laquelle la génération de microfissures, en dissipant un surcroît d'énergie, ralentirait la fracture.
Cette étude souligne le rôle important que jouent les défauts
microscopiques présents dans un matériau sur son comportement en
rupture. La prise en compte de ces effets doit permettre de mieux
apprécier, et à terme d'améliorer, la résistance à la rupture des
matériaux. Au-delà de cet aspect fondamental, la méthodologie développée
pour reconstituer en détail l'histoire des événements se produisant au
cours de la rupture, pourrait trouver des applications importantes.
L'analyse des empreintes laissées sur les surfaces de rupture pourrait
fournir, par exemple, des indications sur les causes de l'effondrement
d'une structure.
Notes: (1) IRAMIS: Institut Rayonnement Matière de Saclay. (2) SVI: Surface du Verre et Interfaces. (3) LTDS: Laboratoire de Tribologie et Dynamique des Systèmes.