Quand la sérotonine tombe sur un os
Par Benje le mardi, février 7 2012, 23:32 - Nouvelles Scientifiques - Lien permanent
Source: CNRS
La sérotonine, un neurotransmetteur cérébral bien connu, est produite
localement dans un site inattendu: le tissu osseux. C'est ce que
viennent de montrer les chercheurs de l'Unité mixte de recherche 606 "Os
et Articulation" (Inserm/Paris Diderot) associés au laboratoire de
biochimie de l'hôpital Lariboisière et au laboratoire "Cytokines, hématopoïèse et réponse immune" (CNRS/Université Paris
Descartes) à l'hôpital Necker à Paris. Cette sérotonine locale
favoriserait la dégradation du tissu osseux. Ces résultats publiés cette
semaine dans les PNAS suggèrent que des médicaments modulant les
effets de la sérotonine, comme les antidépresseurs ou les
antimigraineux, pourraient modifier dans un sens ou dans l'autre
l'équilibre délicat entre formation et dégradation des os dans
l'organisme.
La sérotonine régule une vaste gamme de fonctions comme l'humeur, le comportement, le sommeil, la tension et la thermorégulation. Elle a également des fonctions importantes dans plusieurs tissus périphériques et assure la régulation
des fonctions vasculaires, du cœur et dans la mobilité
gastro-intestinale. Toutefois, la sérotonine circule dans l'organisme à
des taux extrêmement faibles. Elle est majoritairement stockée dans les
plaquettes et n'est disponible pour les organes périphériques que si
elle est relarguée lors de l'activation de ces plaquettes.
Certains chercheurs se sont intéressés au rôle de la sérotonine sur le tissu osseux qui a récemment fait débat.
Alors que certains chercheurs ont décrit une action négative de la
sérotonine circulante sur le tissu osseux (elle empêcherait la
régénération osseuse en agissant sur les ostéoclastes pour diminuer leur
prolifération), d'autres ne retrouvent pas de modification osseuse en
l'absence de sérotonine chez la souris.
Face à ces résultats contradictoires, Marie Christine De Vernejoul et
ses collègues ont souhaité aller plus loin. Grâce à leurs travaux menés
chez la souris, ils ont découvert que cet effet sur le tissu osseux
n'était pas dû à la sérotonine "circulante" mais à une production de
sérotonine nouvelle."Nos travaux montrent que la sérotonine est produite
localement dans un site inattendu: le tissu osseux. Elle est
synthétisée par les ostéoclastes, ces cellules osseuses en charge de résorber l'os." explique la chercheuse Inserm Marie-Christine De Vernejoul.
Une fois synthétisée, la sérotonine agit directement sur les cellules
qui la produisent, les ostéoclastes, en augmentant leur différenciation.
Cette production de sérotonine locale fait partie d'un processus normal
et contribue elle aussi à maintenir l'équilibre entre dégradation et
formation osseuse. "Cette sérotonine locale produite par les ostéoclastes est bien plus
importante pour le tissu osseux que la sérotonine circulante, ce qui
expliquerait les conclusions différentes observées jusqu'à présent par
les scientifiques qui avaient étudié des modèles trop particuliers"
ajoutent les auteurs.
D'un point de vue fonctionnel, les chercheurs ont découvert que les ostéoclastes expriment à leur surface le transporteur
de la sérotonine et certains récepteurs à la sérotonine. Les médicaments
affectant le transporteur de la sérotonine, comme les antidépresseurs,
et les récepteurs de la sérotonine, comme les antimigraineux, pourraient
donc modifier la dégradation du tissu osseux et avoir des conséquences
sur cet équilibre précieux entre dégradation et formation d'os.
A ce stade,
les perspectives des chercheurs sont nombreuses. Ils vont maintenant
étudier si la production de sérotonine par les ostéoclastes est
augmentée par la carence en œstrogènes. Dans ce cas, cela pourrait
signifier que la sérotonine joue un rôle dans l'ostéoporose de la femme
ménopausée.
Ostéoclaste ou ostéoblaste ?
Le remodelage osseux est un processus fortement intégré. Il est assuré par un équilibre fin entre la formation d'os assurée par les ostéoblastes et leur dégradation par les ostéoclastes. Ce renouvellement permanent assure une croissance harmonieuse, le maintien et la réparation des os tout au long de la vie. Si cet équilibre est rompu, une trop forte activité des ostéoclastes aboutit à une augmentation marquée de la densité osseuse. Au contraire, une résorption osseuse accrue est associée à la perte osseuse et déclenche des maladies comme l'ostéoporose, l'arthrite et des lésions osseuses métastatiques. Une bonne communication moléculaire entre ostéoblastes et ostéoclastes est donc nécessaire pour réguler l'engagement, la prolifération et la différenciation de précurseurs cellulaires osseux.Référence: Decreased osteoclastogenesis in 2 serotonindeficient mice
Yasmine Chabbi Achengli, Amélie E. Couderta, Jacques Callebert, Valérie Geoffro, Francine Côté, Corinne Collet et Marie-Christine de Vernejoul - PNAS janvier 2012