Ma main gauche et ma main droite: une histoire de gène
Par Benje le vendredi, février 24 2012, 00:03 - Nouvelles Scientifiques - Lien permanent
Source: CNRS
Des chercheurs de l'Inserm, du CNRS, de l'UPMC et de l'AP-HP au sein du
Centre de Recherche de l'Institut du Cerveau et de la Moelle (CRICM) de
la Pitié-Salpêtrière, viennent de mettre en évidence des mutations à
l'origine de la maladie des mouvements en miroir congénitaux. Les personnes atteintes de cette maladie ont perdu la capacité de réaliser un mouvement différent des deux mains.
Grâce au séquençage du génome de plusieurs membres d'une même famille
française, le gène RAD51 a été identifié. Des travaux complémentaires
menés chez la souris suggèrent qu'il s'agit d'un gène impliqué dans le
croisement des voies motrices. Ce croisement est un point
clé de transmission des informations cérébrales puisqu'il permet à la
partie droite du cerveau de contrôler la partie gauche du corps et
inversement. Ces travaux sont publiés dans la revue The American Journal of Human Genetics.
Les mouvements en miroir congénitaux constituent une maladie rare qui se
transmet de génération en génération selon un mode dit dominant. Les
personnes atteintes ont perdu la capacité de réaliser un mouvement
différent des deux mains: lorsqu'une main effectue un mouvement, l'autre
main est "obligée" d'effectuer le même mouvement, même contre la
volonté du sujet. Dans cette maladie, il est donc rigoureusement
impossible d'avoir une activité
motrice bi-manuelle telle que jouer du piano par exemple. Il arrive que
l'on observe ces phénomènes chez les enfants, mais ils disparaissent
généralement spontanément avant l'âge de 10 ans, surement grâce à la
maturation des réseaux de neurones moteurs. Toutefois chez les personnes
malades, les symptômes de la maladie débutent dès la petite enfance et
restent inchangés tout au long de la vie.
En 2010, des chercheurs québécois ont découvert un gène responsable de
la maladie grâce à l'analyse du génome des membres d'une grande famille
canadienne. Des mutations avaient été identifiées dans le gène DCC
(Deleted in Colorectal Carcinoma). Après cette découverte, l'équipe de
chercheurs et de médecins coordonnée par Emmanuel Flamand-Roze a donc
cherché des mutations de ce gène chez plusieurs membres d'une famille
française atteinte de la maladie des mouvements en miroir congénitaux:
sans succès. "Le gène DCC était intact" explique Emmanuel Flamand-Roze.
"Alors que l'on croyait toucher au but, il a donc fallut chercher une
mutation dans un autre gène" ajoute-t-il.
Par une approche couplant une analyse génétique conventionnelle et une
analyse en "whole exome" (une technique d'analyse génétique de nouvelle
génération permettant le séquençage entier de la partie signifiante du
génome) les chercheurs ont démontré que le gène RAD51 était responsable
de la maladie des mouvements en miroir congénitaux dans une grande
famille française et confirmé ce résultat dans une famille allemande
atteinte de la même maladie.
"Le gène RAD51 était bien connu de la communauté scientifique
pour son rôle potentiel dans la survenue de certains cancers et dans
les phénomène de résistance aux chimiothérapies" explique Emmanuel
Flamand-Roze. Nous avons donc cherché s'il pouvait avoir une fonction différente pouvant expliquer les symptômes moteurs de cette maladie.
Le système moteur se constitue chez l'homme selon une organisation croisée: le cerveau gauche commandant la motricité du côté droit et réciproquement, avec un croisement qui s'effectue au niveau du tronc cérébral. En étudiant l'expression de la protéine RAD51 au cours du développement du système moteur
chez la souris, les chercheurs ont découvert que ce gène pourrait être
impliqué dans le croisement des voies motrices reliant le cerveau à la
moelle épinière au niveau du tronc cérébral.
Cette découverte ouvre un champ complètement
nouveau d'investigation pour la connaissance du développement du
système moteur et pour une meilleure compréhension des mécanismes
cérébraux qui contrôlent la motricité bi-manuelle (très mal connus).
Elle pourrait ainsi permettre d'apporter un éclairage sur d'autres
désordres moteurs impliquant une altération de l'organisation fine du
mouvement tels que la dystonie ou sur certaines maladies génétiques
neuro-développementales.
Référence: RAD51 Haploinsufficiency Causes Congenital Mirror Movements in Humans.
Christel Depienne, Delphine Bouteiller, Aurélie Méneret, Ségolène
Billot, Sergiu Groppa, Stephan Klebe, Fanny Charbonnier-Beaupel,
Jean-Christophe Corvol, Jean-Paul Saraiva, Norbert Brueggemann, Kailash
Bhatia, Massimo Cincotta, Vanessa Brochard, Constance Flamand-Roze,
Wassila Carpentier, Sabine Meunier, Yannick Marie, Marion Gaussen,
Giovanni Stevanin, Rosine Wehrle, Marie Vidailhet, Christine Klein,
Isabelle Dusart, Alexis Brice and Emmanuel Roze. The American Journal of
human genetics