De nouvelles molécules face aux résistances du cancer
Par Benje le samedi, mars 3 2012, 18:56 - Nouvelles Scientifiques - Lien permanent
Source: CNRS
Une équipe franco-italienne menée par des chercheurs du CNRS et de l'Inserm (1)
vient de découvrir une nouvelle famille de composés qui pourrait
permettre de traiter de nombreux cancers, notamment des tumeurs
cérébrales et des cancers de la peau. Brevetées par le CNRS, ces molécules bloquent la voie de signalisation Hedgehog, une chaîne de réactions moléculaires dont le dérèglement serait impliqué dans
plusieurs cancers. Ces composés pourraient à terme constituer de
nouveaux médicaments, mais, dans un premier temps, ils devraient s'avérer de
précieux outils pour mieux comprendre le rôle de la voie Hedgehog dans
le développement de ces tumeurs et la résistance aux traitements de
celles-ci. Effectués en collaboration avec le Laboratoire d'innovations
thérapeutiques (CNRS / Université de Strasbourg), ces travaux sont publiés dans le Journal of Medicinal Chemistry.
La voie de signalisation Hedgehog est une cascade de réactions
biochimiques complexes. Très active lors de l'embryogenèse, elle
participe à la prolifération et à la différenciation des cellules, ainsi
qu'à la mise en place de nombreux tissus. Chez l'adulte, elle joue
notamment un rôle clé dans le maintien de cellules souches dans le
cerveau. Le dérèglement de cette voie participerait au développement de
nombreux cancers, notamment de tumeurs cérébrales très agressives chez
l'enfant.
A l'origine des dysfonctionnements affectant la voie Hedgehog, on trouve
notamment des mutations d'un récepteur membranaire appelé Smoothened, maillon essentiel permettant l'activation
de cette voie. Plusieurs laboratoires pharmaceutiques ont développé des
molécules capables de bloquer Smoothened. Grâce à ces composés
antagonistes (2) du récepteur, ils sont parvenus à enrayer le
développement de certaines tumeurs. Cependant, les expériences menées
sur des modèles animaux et chez l'Homme font état de l'apparition de
résistances à ces traitements. De nouvelles mutations de Smoothened dans
les cellules tumorales rendent inefficaces les antagonistes chargés de
l'inactiver. Voilà pourquoi il est important d'en trouver de nouveaux et
de mieux comprendre les mécanismes liés à ces résistances.
Pour découvrir de nouveaux composés antagonistes de Smoothened, l'équipe de chercheurs coordonnée par Martial Ruat a adopté une stratégie
originale: un criblage virtuel de banques de molécules informatisées.
Parmi quelque 500 000 molécules répertoriées dans ces banques, ils ont
recherché celles dont la structure serait susceptible de produire le
même effet que les molécules connues pour bloquer Smoothened. Sur une
vingtaine de molécules candidates, les chercheurs en ont sélectionné
une. Puis, en modifiant légèrement sa structure afin de l'optimiser, ils
ont découvert une famille de composés, appelés MRT. Ils ont ensuite
testé leur activité biologique sur des cellules de souris en culture.
Résultat: les composés MRT, et plus particulièrement l'un d'entre eux,
l'acylguanidine MRT83, bloquent la prolifération des cellules suspectées
d'être à l'origine de tumeurs cérébrales. De plus, ces nouveaux
composés inhibent Smoothened avec une activité égale ou supérieure à
celle de composés déjà connus.
Plusieurs années de tests sont nécessaires avant que de nouvelles
molécules prometteuses telles que les composés MRT puissent être
commercialisées comme médicaments. Néanmoins, leurs propriétés
pourraient permettre d'en savoir plus sur le fonctionnement, la
structure tridimensionnelle et la localisation des récepteurs
Smoothened. Ces composés MRT aideraient ainsi à comprendre l'origine des
résistances que développent les tumeurs. Ces travaux pourraient
déboucher sur la découverte de nouvelles cibles et stratégies
thérapeutiques pour combattre certains cancers.
Notes: (1) Au sein de l'Unité "Neurobiologie & développement" (CNRS), en lien avec l'Université de Sienne (Italie).
(2) Est antagoniste une substance qui, en se fixant sur les mêmes
récepteurs cellulaires qu'une autre substance, empêche d'obtenir l'ensemble ou une partie des effets produits habituellement par la cellule. Ici les antagonistes ont un effet "inverse" de celui du récepteur "muté".
Référence: Acylthiourea, Acylurea and Acylguanidine Derivatives with potent
Hedgehog inhibiting Activity. Antonio Solinas, Hélène Faure, Hermine
Roudaut, Elisabeth Traiffort, Angèle Schoenfelder, André Mann, Fabrizio
Manetti, Maurizio Taddei and Martial Ruat. Journal of Medicinal
Chemistry. 23 février 2012.