Le Point.fr ouvre son espace Débattre à Laurent Chevallier, médecin consultant en nutrition, attaché au CHU de Montpellier.

Depuis 30 ans, la consommation de viande de boucherie diminue lentement avec une décélération encore plus nette en 2011 (- 2,7 %). En cause, les prix élevés et le pouvoir d'achat en baisse, mais aussi l'évolution des mentalités qui nous fait nous interroger : faut-il continuer à consommer beaucoup de viande ?

Inquiets, les acteurs de la filière viande s'emploient à démontrer que nous ne mangeons pas trop de viande. Ils sont dans leur rôle. Ce qui intrigue, c'est l'implication de scientifiques au discours réducteur pour tenter de convaincre que renoncer à la viande rouge nous vouerait très probablement - entre autres - à des carences en fer. Cela a été ainsi annoncé lors d'une réunion conjointe entre les académies d'agriculture et de médecine en décembre dernier, où des intervenants académiciens ont déployé un discours parfois approximatif avec des chiffres pas toujours exacts.

Faut-il rappeler que plusieurs publications scientifiques ont montré que, sauf régimes extrêmes, les végétariens ne sont pas carencés en fer, même si leurs réserves peuvent être plus faibles que celles des omnivores. La consommation de viande en petite quantité participe à un bon équilibre nutritionnel, mais elle n'est pas indispensable pour l'homme s'il prend notamment du poisson ou, comme dans certaines contrées du monde, des insectes et des larves. Par ailleurs, la consommation de viande, même s'il existe des morceaux maigres, entraîne globalement un apport en matières grasses dites saturées qui participent au développement des maladies cardiovasculaires et, en plus, concentrent des polluants, qui s'incrustent dans toutes les graisses animales telles que les polluants organiques persistants type dioxine, et ne sont pas sans effets sur la santé.

Le bifteck pollue plus que les lentilles

Il a été dit également que, contrairement aux conclusions de plusieurs études scientifiques, la viande rouge ne favorise pas le cancer du côlon, au niveau où elle est consommée en moyenne en France, c'est-à-dire l'équivalent de deux steaks par semaine. Soit, mais le consommateur moyen n'existe pas, et pour ceux qui en consomment deux fois plus, soit probablement plusieurs millions de personnes, le risque n'est plus à exclure. De plus, outre le colon, une récente étude évoque les risques d'apparition de cancer de la prostate en fonction du degré de consommation et de cuisson.

En matière d'environnement, la contre-offensive est aussi lancée. On explique que le bilan écologique des ruminants n'est pas mauvais, car les prairies qu'ils pâturent stockent du carbone, contribuent à la biodiversité et utilisent des espaces où l'herbe est seule capable de pousser. Sauf que les ruminants sont de plus en plus nourris avec de l'ensilage de maïs, des céréales et du tourteau de soja. On ne peut aussi que constater qu'il faut dix fois plus de surface pour produire un kilo de protéines sous forme de viande de bœuf que sous forme de haricots ou de lentilles. Et le bifteck que l'on met dans son assiette émet 10 à 20 fois plus de gaz à effet de serre qu'un plat de lentilles.

Il ne s'agit pas pour autant de renoncer à la viande, mais de poser certaines limites. La création d'une haute autorité de l'expertise scientifique - formellement indépendante - est plus que jamais nécessaire face aux discours approximatifs.