Source: Marie Lambert-Chan - Université de Montréal

Une récente recherche a établi que l'incidence du cancer du cerveau est 1,8 fois plus élevée dans les pays où le parasite protozoaire Toxoplasma gondii est commun. C'est le cas du Brésil, de l'Argentine, de l'ex-Yougoslavie, de la France et de la Grande-Bretagne entre autres.

"Cela ne signifie pas qu'une personne porteuse de ce parasite court 1,8 fois plus de risque de souffrir d'un cancer du cerveau", précise Jacques Brodeur, professeur au Département de sciences biologiques de l'Université de Montréal et coauteur de cette étude parue dans la revue Biology Letters.

Le tiers de la population mondiale serait infectée par T. gondii, qui provoque chez son hôte la toxoplasmose, une maladie bénigne souvent asymptomatique. Elle peut toutefois se révéler dangereuse chez les individus qui ont un système immunitaire faible et chez les fœtus. On peut être contaminé par le parasite en ingérant des matières fécales de félin - qui se retrouvent dans le sol et donc sur les légumes - ou en mangeant de la viande insuffisamment cuite.

Chez l'être humain, T. gondii se réfugie dans les tissus du cerveau et il y restera jusqu'à la mort de son hôte. "La plupart du temps, il demeure en dormance, mais à l'occasion il provoque l'inflammation des cellules et empêche la programmation naturelle de la mort cellulaire. Cela favorise indirectement l'évolution de cellules cancéreuses", explique M. Brodeur.

Une étude qui fait des vagues

Menée conjointement avec le parasitologue Frédéric Thomas, de l'Institut français de recherche sur les maladies infectieuses, et Kevin D. Lafferty, du U.S. Geological Survey, la recherche s'appuie sur la géographie médicale. Cette approche consiste à utiliser des statistiques pour établir des corrélations entre l'incidence de maladies et le fait de vivre dans certains lieux.

Les chercheurs ont croisé des données sur T. gondii recueillies par M. Lafferty et d'autres provenant du Centre international de recherche sur le cancer. Ils se sont penchés en tout sur 37 pays.
Cette méthode a suscité quelques critiques de part et d'autre de l'Atlantique. Certains ont souligné que la fiabilité des données pouvait varier selon les pays et qu'il est difficile de mesurer l'effet de T. gondii sur l'ensemble des cancers du cerveau, qui sont très variés.
Cela a incité les chercheurs à reproduire leur étude à l'échelle d'un seul pays, la France, en se concentrant sur deux types de cancers du cerveau. "Nos résultats sont similaires et renforcent nos premières conclusions", confirme Jacques Brodeur.
La recherche, qui vient tout juste d'être publiée dans Infection, Genetics and Evolution, va plus loin: l'association entre le parasite et le cancer du cerveau est plus marquée chez les hommes de 55 ans et plus et, dans une moindre mesure, chez les femmes de 65 ans et plus.

Frédéric Thomas et Jacques Brodeur ont aussi découvert, en appliquant la même approche, que l'herpès simplex de type 2 - responsable de 60 à 80 % de l'herpès génital récurrent - serait un facteur de risque pour le cancer de la prostate et, de façon plus marginale, pour les mélanomes.

L'origine infectieuse des cancers

Ces résultats constituent d'autres preuves alimentant l'idée que plusieurs cancers auraient pour origine des infections parasitaires. "Depuis une quinzaine d'années, les biologistes évolutionnistes s'intéressent de près au cancer et apportent un point de vue différent, complémentaire de celui de la médecine traditionnelle: certains cancers trouvent leur source dans la génétique, mais on sous-estime grandement le rôle des parasites, que ce soit des virus, des bactéries, des métazoaires ou des protozoaires", observe Jacques Brodeur.

Il en existe plusieurs exemples, poursuit-il. C'est le virus du papillome humain qui est la cause d'une grande partie des cancers du col de l'utérus et les hépatites B et C peuvent évoluer en cancer du foie.

Le professeur croit que les médecins et les biologistes auraient avantage à travailler main dans la main pour trouver un remède au cancer. Deux groupes de recherche ont été constitués dans ce sens aux États-Unis et un troisième vient de naitre en France grâce à l'initiative de Frédéric Thomas. "Avec le soutien du Centre national de la recherche scientifique, son équipe a fondé un centre de recherche sur la biologie évolutive du cancer. J'espère poursuivre cette collaboration à l'UdeM", lance-t-il.

Ainsi, ils exploreront le lien entre T. gondii et la schizophrénie, de même que d'autres maladies mentales. "T. gondii est un habile manipulateur de comportement. Quelques études récentes font entrevoir des troubles du comportement chez les individus infectés, comme la schizophrénie et les hallucinations." Ce projet se fera en collaboration avec l'équipe de Sonia Lupien, professeure de psychiatrie à l'UdeM. "Nous sommes collaborateurs du futur Centre Signature de l'Hôpital Louis-H. Lafontaine, qui nous permettra de recourir à une banque de patients chez qui nous testerons la présence d'anticorps de T. gondii", mentionne-t-il avec enthousiasme.