Source: Daniel Baril - Université de Montréal

On croit parfois que les scènes de violence à la télévision n'ont pas d'effet sur le comportement, mais ce n'est pas ce qui ressort d'une étude réalisée par Caroline Fitzpatrick, chercheuse postdoctorale au Centre de recherche du CHU Sainte-Justine.

À l'aide des données de l'Étude longitudinale du développement des enfants du Québec (ELDEQ), elle est parvenue à mettre au jour une corrélation entre l'exposition à des contenus télévisuels violents vers l'âge de quatre ans et des comportements antisociaux ainsi qu'un désintéressement à l'égard de l'apprentissage scolaire en deuxième année du primaire.

Aggravation du risque de comportements antisociaux

Les données de l'ELDEQ comprennent diverses informations fournies par les parents de plus de 2800 enfants nés au Québec en 1997 et 1998. À deux occasions, soit quand l'enfant était âgé de 41 mois puis de 51 mois, les parents devaient répondre à une question sur la fréquence de l'exposition de l'enfant à des contenus médiatiques violents, que ce soit à partir d'émissions de télévision ou de films vidéos. Plus tard, les enseignants du primaire ont évalué les comportements sociaux, l'état émotionnel et l'attention en classe de ces mêmes enfants.

Les travaux de Caroline Fitzpatrick ont porté sur près de 1800 enfants de l'ELDEQ. Son analyse tient compte de différents facteurs socioéconomiques tels le niveau de scolarité de la mère, la violence familiale, les agressions physiques subies par l'enfant ou dont il a été témoin, l'interaction pédagogique de la mère, la structure familiale (bi- ou monoparentale), ainsi que l'impulsivité de l'enfant.

Une fois retranché l'effet de l'ensemble de ces variables, "on peut voir une corrélation entre l'exposition aux contenus médiatiques violents durant l'enfance et une augmentation des comportements sociaux problématiques comme le repli sur soi et l'agressivité, ainsi que de l'inattention à l'école, affirme la chercheuse. L'effet est modeste, c'est-à-dire une hausse du risque de l'ordre de trois à quatre pour cent, mais il est significatif et persistant."

La corrélation entre violence télévisuelle et comportements antisociaux est observée quelle que soit la fréquence de l'exposition rapportée par les parents. Autrement dit, il n'y a que chez les enfants qui n'ont jamais été exposés à ce type de violence que cette corrélation n'est pas notée. "Mais plus l'exposition est fréquente, plus le risque est élevé", précise Mme Fitzpatrick. À son avis, l'effet pourrait être plus grand que ce que révèle son étude, puisque les parents peuvent avoir eu tendance à minimiser la fréquence des émissions violentes.

Les données montrent par ailleurs que les garçons sont plus nombreux que les filles à être exposés à des scènes violentes, mais la corrélation est la même, peu importe le sexe.
Il faut préciser que les données ne prennent pas en considération l'intensité des scènes violentes mais seulement la fréquence à laquelle les enfants y ont été exposés, soit jamais, rarement, parfois ou souvent. L'étude tient pour acquis que ce que les parents ont rapporté concerne des représentations de la vie réelle dans lesquelles des gestes sont intentionnellement faits dans le but de blesser quelqu'un physiquement ou psychologiquement.

Ces résultats vont dans le sens d'autres études longitudinales réalisées sur le même sujet, mais celle de Mme Fitzpatrick est la première à remonter aussi loin dans l'enfance.

Effet boule de neige

Même si les comportements observés ne sont pas en soi pathologiques, "ils ne sont pas pour autant souhaitables, souligne Caroline Fitzpatrick. Les comportements antisociaux ne sont pas toujours violents: il peut s'agir d'un manque d'empathie envers les autres, d'anxiété ou de détresse émotionnelle qui entraine un repli sur soi. Un tel état peut influer sur les résultats scolaires."

La chercheuse s'inquiète également de l'effet boule de neige que peut avoir à long terme cette violence médiatique. Même si l'effet immédiat peut paraitre faible, il risque, en combinaison avec d'autres facteurs, de perturber le développement de l'enfant et de provoquer divers désordres comportementaux en plus de nuire à la réussite scolaire.

Caroline Fitzpatrick est consultante auprès d'un comité de l'Institut national de santé publique du Québec chargé de formuler des recommandations concernant la violence à laquelle les enfants sont exposés dans les médias. Ce comité proposera vraisemblablement un niveau de violence zéro pour les enfants de moins de cinq ans. "Même si cela ne sera jamais atteint, cette orientation montrera qu'il ne faut pas prendre le phénomène à la légère", déclare la chercheuse.