Les insectes sont capables d'élaborer des concepts abstraits
Par Benje le samedi, avril 28 2012, 10:06 - Nouvelles Scientifiques - Lien permanent
Source: CNRS
Le cerveau des insectes est capable de fabriquer et de manipuler des concepts (1)
abstraits. Il peut même utiliser simultanément deux concepts différents
afin de prendre une décision face à une situation nouvelle. Ce résultat
totalement inattendu a été obtenu par l'équipe du professeur Martin
Giurfa au centre de recherches sur la cognition animale (CNRS/Université
Toulouse III - Paul Sabatier) (2). Cette capacité, que l'on
croyait propre aux humains et à quelques primates, montre que des
analyses cognitives sophistiquées sont possibles en l'absence de langage
et malgré une architecture neurale miniaturisée. Ces travaux, publiés dans la revue PNAS, remettent en cause de nombreuses théories dans des domaines tels que la cognition animale, la psychologie humaine, les neurosciences et l'intelligence artificielle.
La cognition humaine, et notamment nos capacités mathématiques et linguistiques, se base sur notre capacité à manipuler des concepts. Dans la vie de tous les jours,
les concepts qui relient des objets distincts par des règles de
relation de type "même", "différent", "plus que", "au-dessus de",
prennent une place prépondérante. Par exemple, l'automobiliste est guidé
par un réseau
complexe de concepts: codes couleur, flèches, panneaux... L'utilisation
de tels concepts, que l'on a souvent crue propre à l'homme et à
quelques primates, pourrait être en fait beaucoup plus répandue dans le
règne animal.
Les chercheurs ont en effet montré que les abeilles sont capables de
générer puis de manipuler des concepts afin d'accéder à une source de
nourriture. Pour cela, ils ont pris un groupe d'abeilles qu'ils ont
entraîné à pénétrer dans une enceinte, afin de récolter de la solution
sucrée. Dans cette enceinte, les abeilles rencontraient deux stimuli
placés chacun sur une cloison. Chaque stimulus était composé de deux
images distinctes soit l'une au-dessus de l'autre (voir photo
ci-dessous), soit l'une à côté de l'autre. Au milieu de ces paires
d'objets était placé un orifice délivrant, soit une récompense, de l'eau
sucrée, soit une punition, une goutte de quinine. Ainsi, les abeilles
étaient récompensées sur un concept (par exemple "au-dessus de") et
punies sur l'autre ("à côté de"). Les images variaient constamment tout
en maintenant les relations "au-dessus de" et "à côté de" ainsi que
leurs associations respectives à la récompense et la punition. Au bout
d'une trentaine d'essais les abeilles reconnaissaient sans faute la
relation qui les guiderait vers l'eau sucrée.
L'un des tests consistait à placer ces mêmes abeilles devant de nouvelles images. Le seul point
commun avec les figures de l'entraînement était leur disposition:
"l'une au-dessus de l'autre" et "l'une à côté de l'autre". Les abeilles,
bien que n'ayant jamais vu ces nouvelles images, ont choisi
correctement la cible en fonction de cette relation d'ordre abstrait.
Mais ce n'est pas tout: lors de l'entraînement, les images au milieu
desquelles se trouvait la récompense étaient toujours différentes entre
elles. Pour savoir si les abeilles
avaient aussi appris cette relation de différence, les chercheurs ont
confronté les abeilles à des stimuli nouveaux où les images
constituantes respectaient la relation récompensée (par exemple "l'une
au-dessus de l'autre") mais qui étaient soit différentes, soit
identiques. Les abeilles ont ignoré les stimuli faits d'images
identiques, montrant qu'en plus des concepts "au-dessus / au-dessous" et
"à côté", elles manipulaient simultanément le concept de "différence"
pour prendre leur décision.
Cette étude remet en question l'idée que des cerveaux mammifères (dont
le nôtre), plus importants en taille, sont nécessaires à l'élaboration
d'un savoir conceptuel. Elle démontre aussi que la formation de concepts
est possible en l'absence de langage. D'un point de vue philosophique,
elle apporte de nouveaux éléments à la discussion sur ce qui serait
propre à l'homme. A l'heure actuelle, l'équipe de Martin Giurfa s'attèle à l'identification des réseaux neuronaux responsables de cette conceptualisation.
Notes: (1) Ici, le terme "concept" est employé dans le cadre des sciences
cognitives et il détermine une relation abstraite liant des objets
indépendamment de leur nature physique (par exemple, les concepts "au-dessus de / à côté de / différent de...").
(2) en collaboration avec Adrian Dyer, de l'Université de Melbourne (Australie).
Référence: Simultaneous mastering of two abstract concepts by the miniature brain
of bees, Aurore Avarguès-Weber, Adrian G. Dyer, Maud Combe et Martin
Giurfa - Proceedings of the National Academy of Sciences, publié en
ligne le 19 avril 2012