Par un travail très complet, mêlant biochimie, biophysique et biologie cellulaire, une équipe du Laboratoire d'enzymologie et biochimie structurales (LEBS) du CNRS a montré que la mort des cellules neuronales au cours des maladies neurodégénératives est provoquée par des assemblages protéiques fibrillaires et non par les formes oligomériques qui en sont les précurseurs. Ces résultats, publiés dans Biophysical Journal, ont été complétés par une seconde étude, parue cette fois-ci dans Journal of Biological Chemistry, où les mêmes chercheurs documentent le rôle de la charge et de la forme de ces assemblages fibrillaire dans la neurodégénérescence des cellules.

D'après l'Organisation mondiale de la santé, les maladies neurodégénératives d'Alzheimer, de Parkinson et de Huntington sont des maladies dévastatrices qui représenteront, à l'horizon 2040, la seconde cause de décès chez les humains. Ces maladies sont dues à l'accumulation de protéines exprimées par nos cellules: la protéine Tau et le peptide beta-amyloïde pour la maladie d'Alzheimer, la protéine alpha-synucléine pour la maladie de Parkinson, et la huntingtine ou un fragment de cette protéine pour la maladie de Huntington.

En 2009 et 2011, l'équipe dirigée par Ronald Melki au LEBS a montré que ces protéines agrégées contribuaient à la propagation de la neurodégénérescence dans le cerveau (1,2). En effet, à la mort des neurones, les assemblages protéiques qui se sont formés et accumulés à cet endroit sont libérés. Ils se lient alors aux membranes des neurones avoisinants, les traversent et servent d'amorces pour l'agrégation des protéines des cellules saines, entraînant de proche en proche la dégénérescence des neurones dans le cerveau.

Au sein de la communauté scientifique, un débat a lieu sur la nature exacte des assemblages qui entraînent la mort des cellules neuronales. Alors que les assemblages fibrillaires ont longtemps été considérés comme responsable de la dégénérescence, des rapports plus récents attribuent la mort cellulaire à l'incorporation, à la manière d'ionophores, d'assemblages de plus faible masse moléculaire dans les membranes des cellules. La plupart des études menées jusqu'à présent négligeaient la concentration des particules présentes en solution, puisque la toxicité relative des assemblages fibrillaires de très haute masse moléculaire et celle d'assemblages de plus faible masse moléculaire étaient exprimées en fonction de la concentration en protéine soluble précurseur de ces assemblages.

Dans l'article de Biophysical Journal, l'équipe de Ronald Melki a déterminé, par des mesures biophysique (ultracentrifugation analytique et microscopie électronique quantitative), la masse moléculaire moyenne des assemblages de faible et haute masse moléculaire d'alpha-synucléine et de huntingtine, dans le but de comparer la toxicité spécifique de ces deux espèces. Les chercheurs ont montré, sans équivoque, que les assemblages fibrillaires de ces deux protéines sont 1 000 à 10 000 fois plus toxiques que les oligomères de plus faible masse moléculaire. Ils ont également mis en évidence que si les assemblages fibrillaires d'alpha-synucléine et de huntingtine sont toxiques pour les cellules, c'est parce que les fibres interagissent à la fois avec les lipides et avec les protéines membranaires.

Dans le second article, publié dans Journal of Biological Chemistry, les chercheurs du LEBS ont alors démontré, en partenariat avec l'Université de Stanford, que l'interaction entre les membranes cellulaires et les assemblages de haute masse moléculaires est régie par la charge et la structure des assemblages. Cette interaction a la particularité d'affecter la perméabilité de la membrane plasmique et de perturber l'homéostase de la cellule, déclenchant ainsi l'activation de la caspase 3 et une réaction de mort par apoptose.

Ces résultats sont de première importance car ils identifient la cible d'approches thérapeutiques innovantes visant les maladies neurodégénératives. En effet, toute substance qui inhibe la formation des assemblages fibrillaires ou modifie leur surface, devrait significativement ralentir l'apparition et la progression de la neurodégénérescence dans le cerveau, offrant des années de répit supplémentaires aux patients atteints par ces maladies, qui affectent leur autonomie et occasionnent des coûts élevés pour nos sociétés.

Notes: (1) Cytoplasmic penetration and persistent infection of mammalian cells by polyglutamine aggregates, Pei-Hsien Ren, Jane Lauckner, Ioulia Kachirskaia, John Heuser, Ronald Melki, Ron Kopito, Nature Cell Biology (2009), 11(2):219-225, doi:10.1038/ncb1830.
alpha-synuclein propagates from mouse brain to grafted dopaminergic neurons and seeds aggregation in cultured human cells, Christian Hansen, Elodie Angot, Ann-Louise Bergström, Jennifer Steiner, Laura Pieri, Gesine Paul, Tiago Outeiro, Ronald Melki, Pekka Kallunki, Karina Fog, Jia-Yi Li, Patrick Brundin, Journal of Clinical Investigation (2011), 121(2):715-725, doi:10.1172/JCI43366.

Références: Fibrillar ?-synuclein and huntingtin exon 1 assemblies are toxic to the cells, Laura Pieri, Karine Madiona, Luc Bousset, Ronald Melki, Biophysical Journal (2012), 20;102(12):2894-2905, doi:10.1016/j.bpj.2012.04.050.

Fibrillar structure and charge determine the interaction of polyglutamine protein aggregates with the cell surface, Sean Trevino, Jane Lauckner, Yannick Souriges, Margaret Pearce, Luc Bousset, Ronald Melki, Ron Kopito, Journal of Biochemical Chemistry (2012), doi:10.1074/jbc.M112.372474.