Jean-Yves Nau

On vient de découvrir que les stigmates du Parkinson sont présents au sein du tube digestif. Une révolution.

Le corps humain est infiniment plus riche et complexe que ce que l’on en savait à la fin du  XXe siècle. En témoignent, ici ou là, quelques  publications médicales lancées  dans le flux perpétuel des publications médicales et parfois remontées dans les filets  des médias d’information générale. C’est précisément le cas aujourd’hui avec une spectaculaire découverte concernant les liens, jusqu’ici inconnus, pouvant exister entre  notre système nerveux central et notre tube digestif. Ce travail vient d’être publié sur le site de la revue PLoS One en date du 14 septembre. Il est signé par des chercheurs  de l’Inserm travaillant à Nantes sous la direction de Pascal Derkinderen, Michel Neunlist et Stanislas Bruley des Varannes.

Ces chercheurs ont ainsi établi l’existence de liens étroits, jusqu’ici ignorés, entre l’évolution de la maladie de Parkinson et certaines cellules présentes au sein du côlon; côlon ou «gros intestin» (son diamètre étant compris entre 8 à 4 centimètres). On désigne ainsi la partie terminale du tube digestif disposée en cadre dans la cavité abdominale, d’une longueur généralement comprise entre 1 et 1,5 mètre, et qui court du cæcum jusqu'au rectum. Conclusions: les anomalies bien connues existant dans les cellules nerveuses (neurones) d’une région bien précise du cerveau des malades sont retrouvées «à l’identique» dans les neurones présents au sein du système digestif. Mieux encore l’importance des lésions observées dans les neurones digestifs apparaît  étroitement corrélée à la progression de cette maladie.

Un simple prélèvement

Les neurologues croyaient généralement avoir saisi l’essentiel des raisons qui sont à l’origine de la maladie de Parkinson, cette affection dégénérative du système nerveux central (caractérisée notamment par une rigidité musculaire et des tremblements d’un genre bien particulier): la disparition progressive de neurones dans des régions bien précises du cerveau. Puis on a progressivement trouvé des raisons de postuler que les lésions de la maladie de Parkinson ne se limitaient pas au seul système nerveux central mais qu’elles pouvaient également affecter certaines zones du système nerveux dit «périphérique».

Cette nouvelle lecture de la maladie laissait espérer pouvoir résoudre, en pratique, un problème majeur dans l’étude et le traitement de la maladie: avoir directement accès à la nature des lésions et à leur évolution du vivant même des malades. Contourner, en d’autres termes, cette impasse qui veut que l’accès au système nerveux central profond à des fins simplement diagnostiques ne soit possible (pour des raisons éthiques) qu’après le décès des malades.

La découverte des chercheurs français vient confirmer cette espérance puisque les cellules nerveuses présentes au sein du système digestif offrent un avantage considérable: pouvoir  être étudiées à partir de simples prélèvements (biopsies) effectués du vivant des malades. «En pratique les chercheurs ont  analysé des biopsies du côlon effectuées “en routine” chez 39 personnes; 29 souffrant de la maladie de Parkinson et 10 témoins, explique-t-on auprès de l’Inserm. Ils ont réussi à quantifier et qualifier les neurones digestifs issus de ces biopsies. Chez 21 des 29 patients parkinsoniens, ils ont mis en évidence des anomalies des neurones digestifs (dépôts anormaux d’une protéine) identiques aux anomalies présentes dans le système nerveux central.»

Un diagnostic de la maladie de Parkinson avec une coloscopie

Plus important encore d’un point de vue pratique, ils ont pu établir un parallèle entre les lésions et les symptômes: l’importance des lésions  apparaît étroitement corrélée à la sévérité de la maladie de Parkinson. «L’avancement de la maladie pourrait ainsi être déterminé à partir de l'analyse de biopsies du côlon effectuées à l’hôpital à partir de simples coloscopies, explique Pascal Derkinderen. Si nos résultats se confirment à grande échelle, il sera possible de faire un diagnostic de sévérité de la maladie de Parkinson du vivant du patient et d’ajuster le traitement et la prise en charge

Et  plus généralement, et au-delà de la seule maladie de Parkinson, ces résultats démontrent pour la première fois que le système nerveux du tube digestif  peut  représenter une «fenêtre ouverte» sur le système nerveux central: le côlon, fidèle miroir du cerveau en quelque sorte. Il s’agit ici d’une nouvelle perception du vivant dans la mesure où l’on tenait généralement pour acquis que le système nerveux central (siège du contrôle d’un nombre considérables de nos activités) était dissocié des systèmes autonomes à commencer par celui qui régule les fonctions digestives (ou «système nerveux entérique») constitué de plus de 100 millions de neurones, et dont on pensait qu’il ne faisait que gérer l’ensemble des fonctions motrices et sécrétrices du tube digestif.

Cette découverte de l’existence de passerelles entre ces deux systèmes nerveux vient s’ajouter à la liste des récentes découvertes (grâce aux travaux sur les cellules souches notamment) qui laissent penser que le corps humain et les éléments qui le constituent sont hautement plus «plastiques» qu’on ne le pensait jusqu’à il y a peu. L’«âme» passée de mode, on désigna le cœur comme centre du corps humain. Puis ce centre migra bientôt vers le cerveau. On assiste aujourd’hui à une remise en cause générale des hiérarchies et des situations tenues pour définitivement figées. Une sorte de révolution copernicienne corporelle  qui, a priori, est  une bonne nouvelle pour la médecine du futur.