L'ironie sous le spectre de l'IRM
Par Benje le samedi, août 4 2012, 10:00 - Nouvelles Scientifiques - Lien permanent
Source: CNRS
En sciences cognitives, la "théorie de l'esprit" est la capacité à
interpréter les intentions d'autrui. Cette faculté participe à la
compréhension du langage en permettant notamment de franchir le pas
entre ce qu'un discours "veut dire" et le sens des mots qui le
composent. Ces dernières années, des chercheurs ont identifié le réseau neuronal dédié à la "théorie de l'esprit" mais personne n'avait encore démontré que la compréhension d'un énoncé activait spécifiquement cet ensemble
de neurones. C'est désormais chose faite: une équipe du Laboratoire sur
le langage, le cerveau et la cognition (CNRS/Université Claude
Bernard-Lyon 1) vient de révéler que l'activation du réseau neuronal "théorie de l'esprit" augmente lorsqu'un individu est confronté à des phrases ironiques. Publiés dans la revue Neuroimage,
ces travaux représentent une avancée importante dans l'étude de la
"théorie de l'esprit" et de la linguistique. Ils permettent de mieux
comprendre les mécanismes en jeu lorsque des individus communiquent.
Dans nos communications avec autrui, nous devons aller constamment
au-delà de la signification des mots. Par exemple, à la question
"avez-vous l'heure
?", on ne répond pas simplement "oui". La distance entre ce qui est dit
et ce que cela veut dire est étudiée par une discipline de la
linguistique qu'on appelle la pragmatique. Pour cette science,
la "théorie de l'esprit" donne aux interlocuteurs la capacité à
franchir ce pas. Pour parvenir à décrypter le sens et les intentions
cachés derrière un discours, même le plus banal, la "théorie de
l'esprit" se sert de divers éléments verbaux ou non verbaux: les mots
employés, leur contexte, l'intonation, les expressions corporelles...
Depuis une dizaine d'années, les chercheurs en neuroscience cognitive
ont identifié un réseau neuronal dédié à la "théorie de l'esprit".
Celui-ci inclut des zones bien spécifiques du cerveau: les jonctions
temporo-pariétales droite et gauche, le cortex préfrontal médial et le
précunéus. Pour identifier ce réseau, les scientifiques ont fait appel
principalement à des tâches qui étaient non verbales, basées sur l'observation des actes d'autrui (1).
Aujourd'hui, des chercheurs du Laboratoire sur le langage, le cerveau
et la cognition (CNRS/Université Claude Bernard-Lyon 1) établissent,
pour la première fois, le lien entre ce réseau neuronal et le traitement
implicite des énoncés.
Pour y parvenir, les scientifiques se sont intéressés à l'ironie. Une
phrase ironique signifie généralement le contraire de ce qu'elle dit.
Ainsi, pour repérer l'ironie dans une phrase, il faut mettre en œuvre
les mécanismes de la "théorie de l'esprit". Dans leur expérience, les
chercheurs ont d'abord préparé 20 petites histoires en deux versions:
une ironique et une littérale. Chaque histoire contenait une phrase clef
qui, selon la version, donnait un sens ironique ou littéral. Par
exemple, dans l'une des histoires, une chanteuse d'opéra s'écrie, après
le spectacle: "Ce soir, on a fait une performance magistrale". Selon que
le spectacle a été très mauvais ou très bon, la phrase est ironique ou
pas.
Les chercheurs ont alors réalisé une IRM (2) fonctionnelle (IRMf)
sur 20 sujets lorsque ceux-ci lisaient 18 de ces histoires
aléatoirement choisies soit dans leur version ironique, soit dans leur
version littérale. Les sujets n'étaient pas au courant que le test
portait sur l'ironie. La prédiction des scientifiques était qu'en
présence de phrases ironiques, le réseau neuronal dédié à la "théorie de
l'esprit" montrerait une activité
plus importante. Et c'est exactement ce qu'ils ont observé: au moment
de la lecture de la phrase clef, le réseau s'activait plus lorsque la
phrase était ironique. Ceci montre que ce réseau participe directement
aux processus de compréhension de l'ironie, et, plus généralement, à la
compréhension du langage.
Les chercheurs veulent à présent approfondir leurs recherches sur le
réseau dédié à la "théorie de l'esprit". L'une des questions qu'ils se
posent est de savoir si les sujets sont capables de percevoir l'ironie
lorsque ce réseau est artificiellement inactivé.
Notes: (1) Par exemple, Grèzes, Frith & Passingham (J. Neuroscience, 2004)
ont montré une série de films courts, de 3,5 secondes chacun où des
acteurs entraient dans une pièce et soulevaient des cartons. Dans
certains cas, les acteurs avaient reçu la consigne de faire comme si le
carton était plus (ou moins) lourd que ce qu'il était en réalité. De
cette manière, les expérimentateurs ont créé des situations de leurre et
ont ainsi demandé aux participants de déterminer s'ils avaient ou non
été trompés par les acteurs des films. Les scènes comportant des actions
simulées montrèrent, par rapport aux actions sincères, une activité
accrue dans l'aire cérébrale rTPJ (jonction temporo-pariétale droite).
(2) Imagerie par Résonance Magnétique
Référence: “Neural evidence that utterance-processing entails mentalizing: The case
of irony.” - Spotorno N, Koun E, Prado J, Van Der Henst JB, Noveck IA –
Neuroimage, Juillet 2012