Une équipe américaine a réussi à cultiver pour la première fois des cellules humaines ayant des capteurs électroniques intégrés. Une technique pionnière qui ouvre la voie à la médecine de demain.

Réparer le corps avec des cellules cultivées en laboratoire, c'est toute l'ambition de la médecine régénérative. Les thérapies cellulaires progressent à grand pas, redonnant la vue à des patients ou éliminant les rejets lors des greffes. La production de tissus artificiels est certes une réalité, mais une équipe américaine est allée plus loin, en créant les premièrs tissus humains intégrant des câbles électriques. Avec «les tissus cyborg» (en référence aux robots humains de science-fiction) comme l'appellent leurs inventeurs, l'élan est désormais lancé vers des capteurs biologiques de plus en plus sophistiqués.

Pour créer ces tissus d'un genre nouveau, Charles Lieber à l'Université de Harvard, le Pr Robert Langer du Massachusetts Institute of Technology (MIT), le Dr Daniel Kohane du Boston Children's Hospital et leur équipe ont intégré de minuscules fils de silicium (près de 80 nanomètres de diamètre soit 80 millièmes de millimètre) à une sorte d'éponge ou de barbe à papa faite de molécules organiques (comme le collagène). Les chercheurs ont ensuite greffé sur cette armature des cellules musculaires et cardiaques mais aussi des neurones de rat. Pour la première fois, de la chair hybride, mi-cellulaire mi-électronique, était créée en 3D.

Un pacemaker intégré aux cellules du cœur
Une structure en trois dimensions (les alliages actuels de cellules et de composants électroniques n'existent qu'en deux dimensions) donne «une meilleure image du comportement cellulaire», explique Bozhi Tian, l'un des auteurs de cette technique décrite dans la revue Nature Materials. De plus, les nano-capteurs en silicium sont souples, biocompatibles et non toxiques, ils ne perturbent donc pas la croissance des tissus. «La structure reste intacte et joue même un rôle actif», ajoute le Dr Kohane. De nombreux capteurs peuvent en effet être associés aux nano-câbles, les scientifiques ont pu mesurer par exemple les battements des cellules cardiaques.

Avec des cellules humaines cette fois, les chercheurs ont également créé un vaisseau sanguin de 1,5 cm de long avec des capteurs intégrés surveillant l'équilibre de l'acidité du sang (un excès d'acide est notamment à l'origine du coma diabétique). L'analyse de tels signaux dans l'organisme serait un apport majeur à l'étude des phénomènes inflammatoires ou cancéreux (la formation des tumeurs). Ce serait aussi une révolution pour la prise en charge des troubles du rythme cardiaque, avec des défibrillateurs biocompatibles «intégrés le long des nano-capteurs», imagine le Dr Kohane.

L'imagination pour seule limite
Les laboratoires pharmaceutiques pourraient aussi adopter ces biomatériaux innovants pour tester leurs médicaments, les tissus vivants avec nano-détecteurs incorporés pouvant reproduire en partie le métabolisme de l'organisme. Charles Lieber, pionnier des nanotechnologies, a d'ailleurs créé une société (Vista Therapeutics) commercialisant un nano-capteur capable de détecter, à partir d'une simple goutte de sang, des marqueurs biologiques comme le PSA utilisé dans le suivi de la prostate (qui nécessite normalement une prise de sang avec des résultats dans un délai de 72 heures).

La prochaine étape sera de «raccorder les tissus et de communiquer avec eux» comme le font les organismes vivants, indique Charles Lieber. Pour l'heure, les chercheurs peuvent seulement recevoir les signaux enregistrés par les nano-câbles. Mais une fois qu'ils pourront «télécommander» ces circuits intégrés biologiques, par exemple pour libérer des médicaments de manière ultra-ciblée, les nano-robots médicaux ne seront plus loin. Le chercheur américain le confirme: «À ce stade, nous sommes seulement limités par notre imagination