Source: CEA

Des chercheurs du CEA, du CNRS, de Thales, de Crocus Technology et de l'Université Joseph Fourier (Grenoble) sont parvenus à aimanter une couche mince de germanium, en faisant circuler un "courant de spins". Le spin, caractéristique magnétique des électrons, deviendrait ainsi un nouveau vecteur de données en microélectronique, au même titre que les charges dans un courant électrique (principe de l'électronique classique). Grâce aux procédés utilisés, réalisés à température ambiante, cette découverte pourrait permettre de concevoir des puces "spintroniques", capables de stocker plus d'informations dans une même quantité de matériau. Ces résultats ont été diffusés dans la revue Physical Review Letters.

Les chercheurs sont parvenus à créer un "courant de spins" dans le germanium, comme un courant électrique permet de transporter un signal, à température ambiante et sur des distances compatibles avec les circuits de microélectronique. Grâce à cette démonstration, il est possible d'envisager la conception de puces "spintroniques" à base de germanium, capables de contenir des informations à la fois sous forme de charges électriques et d'orientation de spins.

Les puces spintroniques actuelles, équipant par exemple les têtes de lecture de nos disques durs ou certains baladeurs numériques, se composent de deux étages:
l'un, à base de couches semi-conductrices (généralement en silicium), permet de traiter et transmettre des données sous forme de charges électriques (+ ou -);
l'autre, magnétique et constitué d'alliages métalliques (nickel, cobalt...), sert de mémoire.

Les électrons possèdent comme caractéristique une charge électrique mais aussi une aimantation: le spin, qui peut être représenté comme pointant vers le haut ou vers le bas (haut ou bas). La spintronique consiste à traduire cette orientation des spins (haut ou bas) en signal binaire, 0 ou 1. L'électronique, elle, permet de traduire et manipuler les charges électriques (+ ou -). Grâce à la démonstration faite par les chercheurs, le germanium pourrait donc permettre d'encoder plus de données, à la fois sous forme électrique (+ ou -) et magnétique (haut ou bas).

Aimanter le germanium
Jusqu'à présent, aimanter un semi-conducteur consiste à appliquer un courant électrique à partir d'un matériau lui-même aimanté. L'équipe de chercheurs est parvenue à optimiser ce procédé, en créant un courant de spins dans la couche de germanium. C'est ce procédé qui permet d'envisager la circulation de données sous forme de spins, et ce dans des conditions expérimentales reproductibles à l'échelle industrielle: température ambiante et circulation des spins sur des distances suffisamment longues pour être utilisées dans des puces microélectroniques.

En plus de cette démonstration, les chercheurs ont également réussi à développer deux nouveaux procédés, toujours sur le même dispositif et réalisables dans des conditions standards:
- par "pompage" de spins: en approchant un matériau fortement aimanté, et dont l'aimantation "tourne" très rapidement, ce dernier va transférer cette aimantation au germanium en créant un courant de spins, de la même façon qu'une pompe à eau crée un courant dans du liquide;
- par différentiel de température: en chauffant une partie seulement d'un matériau, le réagencement des charges électriques crée une tension électrique. Les chercheurs ont démontré que, dans le germanium, cette réorganisation pouvait également s'appliquer aux spins, qui forment alors un courant de spins. Avec cette dernière méthode, les chercheurs ont non seulement réussi à créer un courant de spins sans consommer de puissance électrique, mais ils ont également démontré que ce type de matériau peut recycler la chaleur issue des pertes thermiques des systèmes électroniques traditionnels.

Ces découvertes pourront servir de socle aux prochaines études en spintronique, afin d'envisager son passage aux domaines applicatifs. Elles pourront également permettre d'explorer plus en détail la dynamique des spins injectés dans un matériau à base de germanium.

Note: L'atome de germanium est déjà actuellement utilisé en microélectronique pour ses caractéristiques de semi-conducteur proches du silicium. Moins abondant sur Terre, son numéro atomique est plus grand (il est plus lourd), ce qui permet d'envisager la manipulation électrique des spins.
Référence: A. Jain et al., "Crossover from spin accumulation into interface states to spin injection in the germanium conduction band", Physical Review Letters 109, 106603 (2012)