Source: BE Japon numéro 628 (28/09/2012) - Ambassade de France au Japon / ADIT - http://www.bulletins-electroniques.com/ ... /71082.htm

Le professeur Naoto NISHIZUKA, chercheur à l'ISAS/JAXA et à l'Université de Tokyo, et son équipe ont réussi pour la première fois au monde à reproduire sur Terre un phénomène ressemblant à un événement se produisant fréquemment dans la chromosphère du Soleil. Les résultats de cette expérience ont été présentés le 7 septembre 2012 dans un communiqué de presse de la JAXA.

La température du Soleil, qui s'élève à 15 millions de kelvins en son coeur, descend en dessous de 6.000K au niveau de sa photosphère (la surface visible du Soleil). Cependant, en s'éloignant d'avantage du centre de l'étoile la température commence à augmenter, atteignant 100.000K au sommet de la chromosphère, puis dépassant 1 millions de kelvins dans la couronne (parfois même plusieurs millions de kelvins). Ce phénomène "inversé", qui voit la température augmenter alors que l'éloignement par rapport à la source de chaleur s'accroît, est connu sous le nom de "problème du chauffage de la couronne solaire", et les scientifiques tentent depuis de nombreuses années de comprendre cette énigme.

Pour tenter de percer les mystères de notre étoile, la JAXA a lancé en 2006 un satellite d'observation du Soleil, Hinode (prononcé "Hinodé". Grâce à lui, les scientifiques ont pu comprendre que les divers phénomènes tels que les explosions ou les expulsions à grande vitesse de jets de gaz (appelés "spicules") se produisant fréquemment dans la chromosphère jouaient un rôle important dans le réchauffement de la couronne solaire. En outre, le champ magnétique du Soleil aurait une grande influence sur ces manifestations de l'activité solaire.

Pour expliquer ces phénomènes, la recherche scientifique a jusqu'à présent progressé en utilisant une combinaison d'observations, réalisées grâce à des télescopes comme Hinode, et de travaux théoriques, utilisant notamment des supercalculateurs pour analyser et prévoir l'activité solaire. Cela est toutefois parfois insuffisant, puisqu'Hinode ne permet par exemple d'observer le champ magnétique qu'au niveau de la surface de la photosphère. Il est donc difficile de comprendre la structure spatiale, en trois dimensions, de ce champ. En outre, l'état du plasma dans la chromosphère et son comportement à petite échelle ne peuvent pas être observés.

En plus de l'"observation" et de la "théorie", l'équipe du professeur Nishizuka a souhaité ajouter une composante "expérimentale" et est parvenue pour la première fois à reproduire en laboratoire un phénomène similaire à ceux qui se produisent dans la chromosphère. Pour parvenir à cet exploit, les scientifiques japonais ont utilisé le TS-4 (Tokyo University Spherical Torus Device No.4) de la Graduate School of Frontier Sciences de l'université de Tokyo, un dispositif expérimental permettant de confiner un plasma dans un tore sphérique en utilisant un puissant champ magnétique. Les chercheurs se sont basés sur les observations d'Hinode pour parvenir à estimer précisément la forme du champ magnétique à la surface du Soleil. Le TS-4 leur a alors permis de simuler un environnement ressemblant à celui de la chromosphère.

En créant à l'intérieur du TS-4 un plasma en forme de donut et en le rapprochant des lignes du champ magnétique environnant, une reconnexion magnétique se produit. En conséquence, le gaz à l'intérieur du dispositif subit une rapide augmentation de température, passant de 10.000K à 30.000K, accompagnée d'expulsions de jets à une vitesse de 20.000 km/h et de violentes ondulations du champ magnétique. Ces phénomènes étaient observés expérimentalement pour la première fois au monde.

Bien que l'échelle soit différente, ces phénomènes possèdent des caractéristiques semblables à celles des jets observés dans la chromosphère du Soleil. De plus, la vérification du fait que d'intenses secousses du champ magnétique accompagnent la reconnexion magnétique est un résultat précieux. En effet, elle permet d'expliquer la manière dont apparaissent les vibrations du champ magnétique, qui sont considérées comme la source du chauffage de la couronne solaire dans l'une des deux principales hypothèses proposées comme solution à ce problème: la théorie du chauffage de la couronne solaire par des ondes.

Grâce à des expériences telles que celle réalisée par l'équipe japonaise, il est possible d'observer et de mesurer de très près l'état d'un plasma ou d'un champ magnétique. Des propriétés jusqu'alors difficiles à déterminer, telles que la structure spatiale du champ magnétique ou l'état du plasma (température, densité, vitesse, résistance) à petite échelle, peuvent désormais être évaluées et il devient possible d'estimer les processus physiques intervenant dans les phénomènes observés sur le Soleil. Bien sûr, les phénomènes solaires étant d'une ampleur autrement plus grande que ce qu'il est possible de réaliser en laboratoire, ce type d'expérience ne permet pas une quantification de leurs propriétés. Toutefois, en complétant les observations astronomiques directes et les recherches théoriques, ces expériences pourraient permettre d'importantes avancées dans différents domaines de l'étude du Soleil.

La qualité des observations devraient également continuer de progresser, puisque la JAXA prévoit le lancement d'une mission SOLAR-C en 2019, en remplacement de son satellite Hinode (également appelé SOLAR-B). Ses objectifs principaux seront la mesure du champ magnétique de la chromosphère par spectropolarimétrie et l'observation de la couronne dans des résolutions beaucoup plus élevée que ce que permet actuellement Hinode.

Les résultats obtenus par l'équipe du professeur Nishizuka ont été publiés le 10 septembre 2012 dans la revue scientifique The Astrophysical Journal.