La première définition du placébo qu'un dictionnaire médical a proposée, en 1803, était "épithète donné à tout remède prescrit plus pour faire plaisir au patient que pour lui être utile". Mais les nombreuses études réalisées ces dernières années sur l'étrange effet placébo ont démontré que le fait de plaire au patient peut lui être fort utile ! L'effet placébo serait même au cœur de l'effet pharmacologique lui-même.

C'est du moins ce qui ressort d'une revue des travaux dans le domaine présentée par Jean-Louis Brazier au cours d'une conférence tenue le 13 septembre devant l'auditoire très critique des Sceptiques du Québec.

Pharmacologiquement inerte, mais...

"S'il n'y a pas de ligand moléculaire qui se fixe sur un récepteur membranaire, il n'y a pas de mécanisme pharmacologique et donc pas d'effet pharmacologique", a-t-il d'emblée expliqué. Mais une absence de mécanisme pharmacologique direct ne signifie pas nécessairement une absence d'effet.

Devant le caractère indéniable d'une mécanique autre que pharmacologique, les chercheurs définissent désormais un placébo comme toute substance, simulation de traitement ou suggestion verbale ou visuelle modifiant les symptômes d'une maladie, alors que l'efficacité pharmacologique attendue de ces interventions devrait être nulle. "L'effet placébo représente tout ce qui n'est pas l'effet pharmacologique intrinsèque du principe actif", précise le professeure émérite de la Faculté de pharmacie de l'Université de Montréal. Il ne s'agit donc pas d'un effet nul ou imaginaire.

Jean-Louis Brazier donne comme exemple une étude qui a conclu que la glucosamine a un effet comparable à un placébo pour soigner l'arthrose du genou. Dans cette étude, 42% des patients ont rapporté que leurs douleurs avaient diminué de moitié après l'administration d'un placébo, comparativement à 50% des patients traités au Celebrex. Même si la différence est significative, les 42% de patients soulagés par le placébo ou la glucosamine ne peuvent être ignorés, estime le professeur.

Médicaments et placébo

L'effet placébo n'est pas le propre de substances totalement inertes telles les granules homéopathiques. Les molécules pharmacologiquement actives déclenchent elles aussi ce mystérieux effet. C'est notamment le cas des analgésiques: quand on prend un tel comprimé pour soigner un mal de tête, le soulagement ressenti au bout de 10 minutes est dû à un effet placébo, puisqu'il faut de une à deux heures pour que le médicament soit en circulation dans le sang.

Les antidépresseurs, dont l'effet biochimique sur les neurotransmetteurs est bien réel, seraient eux aussi redevables en grande partie à l'effet placébo. Selon une méta-analyse citée par le conférencier, l'antidépresseur est de mise dans le cas de dépressions graves, mais le médicament aurait le même effet qu'un placébo pour les dépressions légères à modérées.

Plusieurs travaux ont par ailleurs montré que les médicaments antidouleurs agissent plus rapidement lorsque le patient est conscient qu'on les lui administre. Cette bonification de l'effet pharmacologique est attribuée à l'effet placébo du médicament.

Dans certains cas, il se pourrait que l'effet analgésique soit totalement dû à l'effet placébo. C'est ce qui semble être le cas de la proglumide, une molécule utilisée dans le traitement d'ulcères d'estomac et qui a également la réputation de soulager la douleur. Des recherches ont montré que le soulagement était nul si le médicament était administré à l'insu du patient.

"Contrairement à la morphine, la proglumide n'agit donc pas sur le circuit de la douleur, qui va de l'endroit affecté jusqu'au cerveau, mais directement sur le système des opioïdes endogènes stimulés par le placébo et qui, eux, réduisent la douleur", avance le professeur.

L'effet placébo peut en outre se produire par simple apprentissage ou conditionnement visuel ou verbal. Si, par exemple, un acteur feint une douleur lorsqu'une électrode placée sur son doigt s'allume, un sujet qui observe la scène ressentira une douleur réelle lorsqu'il prendra la place de l'acteur même si aucune décharge électrique n'est envoyée.

Les attentes du patient

Mais comment un tel phénomène est-il possible ? Selon le conférencier, tout repose sur les attentes suscitées chez le patient: plus les attentes sont grandes, plus grand sera l'effet du traitement, qu'il soit pharmacologiquement actif ou non. Tous les éléments associés au traitement peuvent jouer un rôle: son cout, la personne qui l'applique, la qualité de la relation thérapeutique, la couleur et le gout du comprimé, etc.

C'est d'ailleurs ce qui expliquerait pourquoi l'effet placébo est plus fort dans les protocoles de recherche qu'en milieu clinique: les chercheurs suscitent de fortes attentes chez les participants, ce que négligent les médecins dans leurs relations avec les patients.

L'état d'attente quant à l'efficacité d'un traitement est en fait un état émotif relevant donc de la neurobiologie des émotions. Le système limbique et le thalamus, qui engendrent les émotions, sont liés au circuit dopaminergique (circuit du plaisir), au circuit de la douleur ou encore au système immunitaire, a fait valoir le conférencier.

L'effet placébo est ainsi une réaction biochimique à un conditionnement psychologique, que ce conditionnement soit comportemental, visuel ou auditif. Il n'y a donc pas de fausse honte à y avoir si l'on est sensible à cet effet, puisque le phénomène semble être dans l'ordre des choses.