Un haut niveau d'éducation retarde l'apparition de la maladie d'au moins 5 ans.

Pourquoi sommes-nous inégaux devant le risque de maladie d'Alzheimer? Une des réponses se trouve dans la notion de «réserve cognitive». Autrement dit, un capital cérébral, différent selon les individus, qui permettrait de mieux résister à la maladie. Ce concept a été longuement développé lors de la 3e édition des Aquitaine Conférences sur les neurosciences 2012 à Arcachon (du 5 au 8 novembre), une manifestation entièrement subventionnée par le conseil régional d'Aquitaine. «Par exemple, un niveau universitaire retarde l'échéance d'au moins cinq ans», explique le Pr Orgogozo, chef du pôle neurosciences cliniques au CHU de Bordeaux et chercheur à l'Inserm.

C'est le Pr Yaakov Stern, de l'université de Columbia, qui a développé cette notion de réserve cognitive. Il explique ainsi que le «capital intellectuel» de départ n'est pas le seul élément à prendre en compte et que conserver une activité intellectuelle, même à un âge avancé, retarde la survenue de la maladie, si elle doit survenir. «Plus d'éducation, détaille le Pr Orgogozo, cela veut dire plus de synapses, un cortex plus épais, plus de possibilité de compensation par des circuits alternatifs. C'est un concept important qui montre qu'il se passe quelque chose dans le cerveau, au niveau intellectuel, même des années avant les symptômes.»

Mais la suractivité compensatrice du cerveau finit par s'épuiser et, comme un moteur que l'on aurait poussé aux limites, le déclin s'amorce d'autant plus brutalement que le moteur était puissant. Selon le Pr Stern: «Les personnes ayant les plus grandes réserves cognitives auront une maladie plus avancée au moment où s'amorcera leur déclin cognitif (baisse des performances intellectuelles, NDLR), mettront alors moins de temps à atteindre le point où la maladie compromettra le fonctionnement du cerveau et donc déclineront plus vite.»

Plusieurs autres sujets ont été débattus lors de cette réunion. Ainsi, plus la durée de vie s'allonge et plus les risques d'avoir une maladie d'Alzheimer augmentent. Les statistiques sont impitoyables. «Actuellement, la France compte entre 800.000 et 1.000.000 de cas, explique le Pr Orgogozo. Avec l'arrivée des tranches d'âges à haut risque (c'est-à-dire plus de 70 ans), des “papy-boomers”, on craint une augmentation très importante de la maladie si on ne trouve pas rapidement un moyen de l'enrayer ou de la ralentir.» À condition d'en faire le diagnostic plus tôt qu'on ne le fait aujourd'hui.

A-t-on aujourd'hui les moyens de faire le diagnostic précoce de la maladie d'Alzheimer? «Théoriquement, oui. En pratique, non, répond le Pr Jean-Marc Orgogozo, car pour que l'on puisse qualifier un état de maladie, il faut qu'il y ait des symptômes gênants et des inconvénients réels pour le malade ou pour ses proches», ajoute-t-il. Or, l'installation de la maladie d'Alzheimer se fait pendant très longtemps sans aucun symptôme, puis elle peut être confondue, au début, avec le vieillissement normal. Quant aux IRM et ponctions lombaires à la recherche de signes précoces, elles ne donnent pour l'instant qu'une forte probabilité mais toujours pas une certitude de développer un jour la maladie.

Expérimenter des traitements

À point nommé, la revue scientifique internationale The Lancet Neurology publiait les résultats de deux études menées sur des dizaines de malades colombiens atteints d'une forme familiale de maladie d'Alzheimer. Des travaux qui montrent que les premiers signes sont détectables dans le liquide céphalorachidien de ces patients (élévation de peptide bêta amyloïde) plus de vingt ans avant que n'apparaissent les premiers symptômes!

Bien sûr, il ne s'agit là que d'une forme particulière de la maladie. «Toutes les mutations dominantes connues représentent moins de 1 % des cas d'Alzheimer», relativise le Pr Orgogozo, et rien ne dit que l'on puisse extrapoler. D'ailleurs dans la forme génétique de la maladie d'Alzheimer étudiée en Colombie, les patients débutent la maladie à 49 ans en moyenne alors que: «Dans la population générale, le diagnostic se fait plutôt autour de 80 ans, et plutôt 70 ans ou moins dans les centres spécialisés», rappelle le neurologue.

Les patients colombiens, sans symptômes mais porteurs de la mutation génétique, à qui l'on fait passer un examen appelé PetScan pour mesurer le débit sanguin dans le cerveau, montrent déjà une augmentation anormale du débit dans certaines régions. Pour le Pr Richard Frackowiak, directeur du service de neurologie du CH Vaudois (université de Lausanne, Suisse): «Cela témoigne de la possibilité d'une compensation très précoce qui permet de maintenir le fonctionnement cérébral plusieurs décennies avant la maladie.»

Pour l'instant, la recherche qui est menée sur les marqueurs précoces de la maladie n'a pas véritablement d'implication pratique pour le diagnostic mais l'espoir est de pouvoir expérimenter des traitements à des stades où la maladie ne fait que commencer. Comme dans l'hypertension où l'on prend des traitements pour éviter que les artères ne s'abîment.