Source: Université de Montréal - Mathieu-Robert Sauvé

Pas facile de trouver le sommeil lorsque des punaises de lit cachées dans votre matelas sortent durant la nuit pour se nourrir de votre sang. Insomnie, anxiété et symptômes dépressifs ont été observés pendant une étude menée par deux spécialistes de la santé publique, les Drs Stéphane Perron et Stephanie Rebecca Susser. "Il faut assurer un suivi auprès des résidants dont le logement est infesté, car ils ont besoin d'un soutien psychologique et médical approprié", écrivent-ils dans un article paru le 26 septembre dans le British Medical Journal.

Les victimes des punaises de lit ressentent jusqu'à cinq fois plus de symptômes d'anxiété que les autres Montréalais et leur sommeil est perturbé dans la même proportion, relate la Dre Susser, première auteure de l'étude, qui a fait de cette enquête son projet de maitrise au Département de médecine sociale et préventive de l'Université de Montréal. "Quand on se couche à la fin de notre journée, on doit être dans un état de détente et d'abandon pour s'endormir. Or, le fait de savoir les insectes actifs la nuit est extrêmement préoccupant. On peut se protéger contre les moustiques; c'est beaucoup plus difficile contre les punaises", dit-elle au cours d'un entretien au pavillon de la Direction de santé publique de l'Agence de la santé et des services sociaux de Montréal.

Avec son directeur de recherche, le Dr Perron, elle a entrepris la première étude épidémiologique à ce jour sur l'effet psychologique de ce phénomène endémique dans les grandes villes. Des recherches précédentes avaient conduit à des observations troublantes chez les personnes aux prises avec ces insectes (incluant des symptômes de stress post-traumatique), mais aucune n'avait été réalisée avec un groupe témoin. L'étude des médecins montréalais a porté sur deux immeubles habités par 91 personnes; 39 d'entre elles ont noté la présence des insectes dans leur logement, certaines pendant plusieurs semaines. On a pu comparer leurs symptômes avec l'état de santé de leurs voisins sans punaises de lit, soit 52 personnes.

C'est à l'aide d'index reconnus dans la discipline qu'on a pu établir les répercussions de la présence des insectes: le Pittsburgh Sleep Quality Index pour la qualité du sommeil et le Patient Health Questionnaire pour l'effet psychologique.

Une hausse des symptômes dépressifs a été relevée, mais elle pourrait être due au hasard. L'influence sur le sommeil et l'anxiété ne fait par contre aucun doute.

Retour de la punaise

Presque inexistant il y a 10 ans sous nos latitudes après avoir été courant dans les années 30 sous le nom de woodgreen bedbug, l'insecte brunâtre de la grosseur d'un pépin de pomme (cimex lectularius) est de plus en plus observé à Montréal, où 2,8% des ménages en auraient eu dans leur domicile au cours des 12 mois précédant un sondage effectué en 2011.

Plusieurs cas ne sont pas signalés à cause de la gêne que suscitent ces insectes. "On sait que des immeubles de quartiers chics sont touchés, mais on en entend peu parler. L'affaire se règle rapidement", souligne le médecin, qui en a vu dans tous les quartiers de Montréal.

Se nourrissant de sang humain, la punaise de lit se déplace en marchant et n'aime pas la lumière. Pendant le jour, elle se cache surtout près des coutures des matelas et des sommiers. Les piqures qu'elle inflige sur les bras et les jambes sont semblables à celles des moustiques. Selon nos connaissances actuelles, les punaises ne transmettent pas de maladies.

Sa présence croissante inquiète les autorités municipales, qui ont mis en place un plan d'action ciblant locataires et propriétaires d'immeubles de la région montréalaise.

La Direction de santé publique de Montréal, en collaboration avec l'Agence de la santé et des services sociaux de la métropole, intervient parfois dans des immeubles où la présence des punaises de lit est chronique. "J'ai visité plusieurs de ces immeubles et je peux vous dire que ce sont souvent des endroits présentant plusieurs signes d'insalubrité. Ça sent l'humidité dans l'appartement; les murs suintent parfois et les occupants sont aux prises avec d'autres nuisances: souris, rats, coquerelles", mentionne la Dre Susser.

Cela dit, les locataires sont rarement en cause, soutient-elle. Ce sont les propriétaires, le plus souvent, qui tentent de se soustraire à leurs obligations. Les moyens d'exterminer ces insectes sont bien connus. Ils consistent à détruire les foyers d'infection et à éliminer les insectes visibles. C'est le travail d'un exterminateur professionnel. Les couts de l'extermination incombent au propriétaire, mais le locataire doit préparer le logement, ce qui implique de mettre tous les tissus dans la sécheuse et de passer l'aspirateur de fond en comble. "Plusieurs personnes dans des quartiers défavorisés ont trop peu de ressources pour préparer adéquatement le logement. De plus, les gens âgés ou handicapés n'ont pas toujours la capacité physique d'assumer les responsabilités attribuées aux locataires", commente le Dr Perron, qui est responsable du programme de résidence en santé publique et en santé préventive à la Faculté de médecine de l'UdeM. Résultat: les logements de ces résidants seront infestés durant plusieurs mois.

"Les médecins doivent être sensibles aux effets psychologiques de la présence de punaises de lit, particulièrement dans certaines populations vulnérables", écrivent les auteurs. L'adoption de mesures préventives est urgente pour enrayer le phénomène et la maitrise de la situation ne peut être reprise sans une concertation multidisciplinaire entre autorités municipales, professionnels de la santé et responsables de la santé publique. Sans oublier les entomologistes.