Par Jake Blumgart - Traduit par Peggy Sastre

Aux États-Unis, les hommes manquent gravement de suivi médical, et la responsabilité de la santé sexuelle repose davantage sur les femmes.

Mes amis et moi, nous avons vécu toutes sortes de relations sexuelles et amoureuses. Il y a ceux qui, après des années de stabilité et de fidélité, gèrent leur rupture par un besoin frénétique de nouveaux partenaires. D'autres ne veulent que du sérieux, et ont constamment l'autel en ligne de mire. Il y a aussi le gros dépravé qui saute par la fenêtre (du premier étage) pour échapper à une scène de jalousie, mais qui connaîtra plus tard l'amour, la monogamie et les joies d'un appartement commun. Sans oublier les couples libres.

Selon mes calculs, la moitié environ de mes amis proches (hommes comme femmes, et qu'importe leur orientation sexuelle) a eu davantage de partenaires qu'il est possible d'en compter sur les doigts des deux mains. Et la chose est quasiment inévitable: si votre vie amoureuse commence à l'adolescence ou à l'université, et que vous ne vous mariez pas avant, disons 30 ans (si d'ailleurs vous vous mariez un jour), ça va chiffrer au bout d'un moment.

Pour ce que j'en vois, aucun sexe ne semble assujetti à une logique amoureuse spécifique, mais je peux quand même dire quels amis arrivent le mieux, en général, à se protéger des dangers éventuels d'une vie sexuelle riche et variée: les femmes.
Pas de gynécologue pour les hommes

Les femmes sont nombreuses à se rendre annuellement chez leur gynécologue, et ce dès l'adolescence. Dans l'idéal, ces visites impliquent des recommandations en matière de santé sexuelle, un examen pelvien, un frottis visant à déceler d'éventuelles anomalies cellulaires au niveau du col de l'utérus, le dépistage de certaines IST et des vaccinations. Ma colocataire, par exemple, se fait tester pour les chlamydia et la gonorrhée tous les ans depuis ses 16 ans, en plus des conseils sur sa contraception, de l'examen pelvien et du frottis.

Avec de telles consultations, le système de santé devient quelque-chose de routinier, ce qui ouvre la porte à la régularité des soins. (Une étude récente montre qu'[aux Etats-Unis] 63% des gynécologues parlent de sexe avec leurs patientes, et 40% les interrogent sur leurs problèmes sexuels. Mais ces chiffrent vont sans doute s'améliorer: dans les deux cas, ce sont les jeunes gynécologues femmes qui s'en sortent le mieux, et la majorité des internes en gynécologie sont aujourd'hui des femmes).

Pour les hommes, il n'existe aucune procédure équivalente. Et ça se voit. Je connais beaucoup d'hommes, dont la majorité se dit hétéro, qui entretiennent une relation franchement désinvolte avec les préservatifs. Un dépistage régulier des IST n'est pas non plus la norme. Un de mes amis, qui a dû coucher avec environ 20 personnes, n'avait jamais fait de dépistage avant que sa nouvelle copine, horrifiée (et on la comprend), le tire par le col jusqu'à l'hôpital.

Responsabilité non partagée

Au final, en matière de santé sexuelle, ce sont les femmes qui doivent porter une grosse part du fardeau, explique Scott Williams du Men’s Health Network, parce que les adolescents et les jeunes hommes ne savent pas grand-chose sur leur propre santé. Et cette disparité «renforce l'idée que les hommes n'ont pas à s'en occuper, qu'il s'agit d'un problème de femmes», déclare Adina Nack, sociologue à l'Université luthérienne de Californie.

Le dépistage des IST «ne fait globalement pas partie des examens de routine d'un homme, avant que le médecin n'en détecte les premiers symptômes», explique Jean Bonhomme, président du National Black Men’s Health Network. Il fait remarquer qu'inciter les hommes, et en particulier les jeunes, à se rendre, en soi, chez le médecin, est un exploit qui tient du pugilat contre un alligator: «Je doute d'ailleurs qu'il existe un seul satané truc que les hommes se font régulièrement dépister».

Vide médical

Les statistiques confortent les observations de Jean Bonhomme. Une récente étude de l'Agence américaine pour la recherche et la qualité des soins de santé montrait qu'[aux Etats-Unis] à peine 57% des hommes avaient vu un médecin dans l'année écoulée, contre 74% des femmes.

En 2000, une enquête menée par le Commonwealth Fund sur les rapports (lointains) des hommes américains avec le système de santé observait des disparités similaires. «Les médecins, en particulier, ont  beaucoup de mal à parler de santé sexuelle avec leurs patients masculins», faisait remarquer cette étude. Les hommes déclarant avoir reçu des recommandations de santé sexuelle de la part de leurs médecins étaient à peine 14%.

En 2009, une autre étude ne décelait aucune amélioration depuis 1995 sur le front des conseils prodigués aux hommes sexuellement actifs et âgés de 15 à 19 ans: moins de 25% d'entre eux étaient l'objet d'une attention quelconque.

La plupart des experts que j'ai interviewés m'ont confirmé que de nombreux hommes quittent tout simplement le système de santé une fois qu'ils ont passé l'âge d'aller chez le pédiatre, pour y revenir à la quarantaine. Mais c'est toute une tripotée de problèmes qui risque d'importuner les hommes, justement, pendant la période où ils ont le moins de chances de recevoir des soins.

Selon le CDC, «Les hommes jeunes représentent 25% de la population sexuellement active aux États-Unis, mais comptent pour près de la moitié des nouveaux cas d'IST», dont la plupart n'a pas de symptômes immédiatement visibles, à l'instar du HPV, des chlamydia, de la syphilis et du VIH. En dehors des IST, d'autres maladies apparaissent souvent à ce moment-là: le cancer du testicule est ainsi le cancer le plus fréquent parmi les hommes âgés de 15 à 34 ans.
La sensibilisation de la communauté gay

Il existe des alternatives à cette configuration précaire. Dans les grandes villes où les communautés LGBT sont actives, on trouve souvent des centres de santé où des médecins répondent spécifiquement aux besoins de ces communautés, tout en favorisant l'ouverture des normes médicales et leur prise en compte des questions sexuelles. (Les centres de santé orientés LGBT sont quasiment inexistants en dehors des grands centres urbains).

«Je ne parle pas en tant que clinicien, mais en tant que gay, dans mon esprit [surveiller régulièrement ma santé sexuelle] a toujours été quelque-chose que je devais faire», explique Dustin Latimer, assistant médical au Mazzoni Center de Philadelphie. Le dépistage et la prévention du HIV et d'autres IST «est quelque-chose que j'ai tout de suite assimilé, dès que j'ai fait mon coming-out, à 17 ans».

La plupart des patients venant consulter à Mazzoni, des hommes qui ont des relations sexuelles avec d'autres hommes, contrôlent régulièrement leur santé sexuelle et, selon Latimer, par rapport à d'autres praticiens, le personnel des centres de santé LGBT a tendance à parler plus franchement de sexe avec ses patients. «Je parle de sexe à quasiment tous mes patients», affirme Latimer. «S'ils viennent pour une infection de l'oreille, on se concentrera là-dessus, mais lors des rendez-vous suivants, on parlera de sexe».

Et je peux en attester. Mes précédents médecins traitants ne me parlaient de sexe que si j'abordais le sujet. Les tests de dépistage d'IST, j'ai toujours dû explicitement les demander et un jour, on m'a répondu par un «encore?», plein d'étonnement. Une autre fois, un médecin ne savait visiblement rien du tout sur le HPV («Je ne vois pas de verrues génitales, donc vous ne l'avez pas») et son cabinet ne proposait même pas le vaccin anti-HPV pour les hommes. Quand j'ai pris mon premier rendez-vous au centre Mazzoni, on m'a posé des questions sur mon passé sexuel, j'ai été vacciné contre le HPV et on m'a prescrit un test de dépistage des IST sans faire d'histoire.
Et le bien-être masculin?

Mais reste encore à savoir comment faire accéder la grande majorité des hommes américains à ce genre de soins. L'une des vertus de l'Affordable Care Act (ACA) consiste en une liste merveilleusement exhaustive de services de prévention gratuits pour les femmes: contraception, mammographie, frottis et dépistage des IST les plus fréquentes. Il est aussi question de «bien-être féminin», avec des visites de contrôle annuelles permettant «aux femmes adultes d'obtenir les services de préventions adéquats en fonction de leur âge et de leur développement».

Un spectre thérapeutique et préventif qui n'a pas d'équivalent chez les hommes. L'ACA prévoit le dépistage du HIV, de la syphilis et des recommandations en matière de prévention des IST, sans distinction de sexe, seulement si le patient relève d'un «risque élevé». Les vaccins contre le HPV et l'hépatite B devraient aussi être disponibles gratuitement. Mais ces normes n'ont rien de particulièrement précis, ni même d'exhaustif.

A quoi la visite annuelle de «bien-être masculin», selon les termes du Men’s Health Network, pourrait bien ressembler? L'organisme de Williams recommande une vaccination contre le HPV, des dépistages annuels de la gonorrhée et des chlamydia, mais aussi des examens de la prostate pour les individus à haut risque: les noirs, tous les hommes exposés à l'agent orange, et ceux aux antécédents familiaux de cancer de la prostate.

Rendez-vous au planning familial

Mais à ma connaissance, il n'y a qu'un organisme dont la gamme exhaustive de services de santé à destination des hommes est comparable à l’attirail préventif que l'ACA prévoit pour les femmes: le planning familial.

Sur la page web du planning familial américain destinée à la santé sexuelle masculine, la liste des services (qui varie selon le centre choisi) inclut le dépistage des cancers du colon, du testicule et de la prostate, des consultations sur la dysfonction érectile, l'éjaculation précoce et la fertilité masculine, le «dépistage et le traitement des mycoses», la vasectomie, et tout le toutim en matière d'examens et de dépistage sexuels de routine.

Plusieurs centres proposent aussi le vaccin anti-HPV pour les hommes. A Denver, une succursale s'occupe d'obésité chez les hommes jeunes, et des centres au Texas proposent le dépistage du diabète et expliquent aux hommes comment pratiquer un auto-examen des testicules.

Combien d'hommes se rendent au planning familial pour de telles consultations? Leslie Kantor, vice-présidente spécialisée des questions éducatives au sein de la Fédération américaine du Planning familial, affirme que le nombre de patients hommes a doublé ces dix dernières années. L'organisation est largement associée à la santé sexuelle féminine, et je n'ai jamais connu d'homme, même dans mes cercles progressistes et relativement à l'écoute de leur santé sexuelle, qui utilisait leurs services.

Les hommes devraient soutenir le Planning familial, pas uniquement pour le bien des femmes qui partagent leur vie, mais parce que c'est un endroit parfait pour répondre à leurs propres besoins en matière de santé sexuelle et reproductive.

Le mauvais contexte

Le planning familial n'ira probablement pas mener de bataille politique pour défendre le «bien-être masculin», vu que l'organisation est toujours aux prises avec un assaut frontal émanant du parti républicain. Dans un communiqué, le Men’s Health Network avait précisé quelles démarches préventives il voulait voir incluses à l'Affordable Care Act. Et déjà au début des années 2000, un projet de loi bipartisane rédigé par le sénateur Mike Crapo (Idaho), et le député  Vito Fossella (New York), visait à créer un bureau fédéral de la santé masculine, sous les auspices du HHS. Le projet est resté lettre morte, et dans notre environnement politique actuel, hyper polarisé et obsédé par l'austérité, il est peu probable qu'il ressuscite de sitôt.

Les décideurs politiques et les acteurs du secteur sanitaire et social devraient s'intéresser de plus près à la santé sexuelle et reproductive des hommes. Si quasiment la moitié de la population reste sans soins ni surveillance standardisés, parfois pendant plusieurs années, c'est la santé publique qui en pâtira, et qui en pâtit déjà aujourd'hui. Sans de telles normes, les hommes américains continueront à être lamentablement sous-informés, sous-protégés et sous-examinés. Et ce n'est bon pour personne.