Selon l'Organisation mondiale de la santé, la dépression sera la première cause d'incapacité au travail d'ici 2020. Le professeur Marc Corbière, chercheur au Centre d'action en prévention et réadaptation de l'incapacité au travail (CAPRIT), s'est penché sur les perceptions et actions de divers acteurs clés de l'organisation du retour au travail de travailleurs s'étant absentés pour une dépression. Le 23 novembre avait lieu la 1re Journée thématique de la Chaire de recherche en réadaptation, journée au cours de laquelle le chercheur et ses collègues ont dévoilé plusieurs résultats permettant justement d'élargir notre compréhension en lien avec le retour au travail après une dépression.

L'importance d'un retour bien orchestré

L'un des principaux objectifs de l'étude menée par le chercheur était de tenter de comprendre les facilitateurs et obstacles à un retour au travail réussi. "Ces résultats préliminaires nous permettent tout d'abord de comprendre comment ce retour est perçu et vécu de la part de quatre acteurs principaux, soit le gestionnaire, l'employeur (ou responsable en ressources humaines), le syndicat et la personne elle-même, explique le professeur Corbière. Par la suite, on a pu observer l'importance de la concertation entre les différents acteurs et leur rôle complémentaire dans le processus de retour au travail."

Au total, 219 organisations québécoises ont été consultées. Parmi celles-ci, 80 % ont eu à composer avec un cas de problème de santé mentale, notamment la dépression.

Cinq constats

"En résumé, les cinq constats auxquels nous sommes arrivés relèvent l'importance de savoir identifier les signes précurseurs de la maladie, de conserver le lien employeur-employé pendant l'absence, de bien préparer l'accueil lors du retour au travail, de planifier si nécessaire des accommodements au retour et de sensibiliser les organisations aux besoins de formation", dit le chercheur principal.

Dans le cas des signes précurseurs, on peut par exemple tenter de bien cerner le présentéisme (présent physiquement mais psychiquement absent) afin de pouvoir proposer des accommodements avant même de penser à un départ, et ce, dans un contexte de prévention. Bien souvent, l'état de la personne se détériore sans que quiconque n'ait rien perçu. Le travailleur peut être ignorant de son état, avoir peur d'être jugé ou même vouloir demeurer à son poste pour des raisons économiques.

Pour ce qui est de conserver le lien avec l'employé pendant son absence, c'est souvent le rôle du supérieur immédiat, mais un coordonnateur de retour au travail peut aussi s'en charger, rôle qui pourrait d'ailleurs être mieux précisé dans les organisations. L'important, c'est de conserver un lien qui permet de mettre le rétablissement de la personne au cœur de la discussion et non le retour comme tel, l'objectif étant de rassurer l'employé et non pas de lui mettre de la pression.

En ce qui concerne le retour au travail proprement dit, la façon d'organiser l'accueil est importante. Une discussion une semaine à l'avance pour bien préparer le retour est de mise, ainsi qu'une bonne interprétation des limitations médicales, question de bien préparer la réorganisation et le réaménagement du poste de travail si nécessaire.

"Il est extrêmement important de planifier le retour au travail. Il ne faut pas attendre le jour J pour agir, affirme le chercheur. Par exemple, il est inacceptable qu'un employé qui revient au travail trouve un surnuméraire à sa place ou qu'un gestionnaire ne sache même pas que son employé revient ce jour-là. L'organisation de l'accueil est essentielle."

Tous les accommodements reliés au travail, en lien avec les horaires ou les tâches, doivent être planifiés, priorisés, implantés, évalués et objets de suivi, toujours en vérifiant leur faisabilité avec le gestionnaire. Le tout est évidemment envisagé avec la personne concernée, en considérant également plusieurs facteurs connexes, comme l'ouverture ou les perceptions des collègues et la façon dont le départ s'est passé.

Les détails du dernier constat touchent les besoins de formation. Quelque 85 % employeurs ou conseillers en ressources humaines ont identifié qu'ils avaient besoin de formation notamment sur la façon de reconnaître les symptômes et de faire la différence entre maladie et problème de performance. L'une des dimensions sur laquelle plus de 90 % des personnes interrogées ont mentionné désirer de la formation est en lien avec les accommodements.

Modèle médical: oui mais...

Pour favoriser un retour au travail réussi, on préconise une approche bio-psycho-sociale, c'est-à-dire qui tienne compte de plusieurs aspects, afin d'élargir les bases de la compréhension. On s'éloigne du modèle médical. Selon la littérature, les stéréotypes ou préjugés ont un impact sur les attitudes favorables (ou non) des gestionnaires envers l'employé lors du retour après une absence due à une dépression.

"En réalité, il y a une étape entre les deux, avance Marc Corbière. Une attitude favorable de la part des employeurs lors d'un retour est prédéterminée dans un premier temps par les représentations des employés en contexte de travail, lesquelles sont elles-mêmes assujetties aux attitudes générales de départ, soit les stéréotypes de base. Alors non seulement il faut agir sur les attitudes générales de base mais également sur les attitudes spécifiques en contexte de travail."

Après avoir documenté selon quatre perspectives les éléments facilitants et gênants d'un retour au travail après une dépression, l'équipe a ainsi pu livrer ses conclusions. "On doit répondre aux besoins de formation identifiés. On soumettra un projet de formation à l'Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail (IRSST) en 2013, et un rapport sera soumis fin février à l'IRSST concernant le volet syndical de l'étude. On soumettra également quelques articles pour publication en lien avec cette étude", conclut le professeur Corbière.