Dans son dernier ouvrage, le Dr Boukris dénonce la manière dont l'industrie pharmaceutique participe à la création de nouvelles maladies.

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"Tout bien portant est un malade qui s'ignore", disait le docteur Knock. Une réplique que se réapproprie aujourd'hui le docteur Sauveur Boukris selon qui "tout bien portant est quelqu'un qui n'a pas eu de dépistage". Dans son dernier ouvrage, La fabrique des malades*, il dénonce "la médecine marketing" et montre comment certains secteurs médicaux, privés ou publics, jouent sur nos peurs, médicalisent nos vies pour pratiquer davantage d'examens biologiques, de radiographies et pour faire consommer toujours plus de médicaments.

"Le marché de la maladie s'étend et les profits des entreprises concernées progressent", écrit le Dr Boukris. "La communication en direction des médecins et des patients se fait plus agressive, plus sophistiquée et utilise de nouveaux instruments. Lorsque les firmes pharmaceutiques mettent au point et testent une molécule avec les cliniciens, elles en déterminent les applications thérapeutiques et vont jusqu'à redéfinir les pathologies visées. (...) En résumé, on construit des maladies pour vendre des médicaments. Le médicament devient un 'objet technique'". Le monde à l'envers...

Développer de nouveaux marchés

Pour l'auteur, cette méthode marche particulièrement bien dans le domaine de la psychiatrie. L'apparition des antidépresseurs aurait "façonné" le diagnostic de la dépression, devenue "maladie du siècle". Puis de nouveaux marchés ont été développés : les troubles anxieux ou encore le syndrome post-traumatique. Un mécanisme identique a été retrouvé dans les troubles de l'attention et l'hyperactivité qui "touchent" aujourd'hui près de six millions d'enfants américains (contre moins de 500 000 dans les années 1970) !

Les troubles de la sexualité et les maladies chroniques et/ou métaboliques (HTA, diabète, excès de cholestérol...) sont aussi particulièrement concernés car ce sont des affections à traitement de longue durée, souvent à vie. Et pour augmenter le"cheptel" de malades, les critères de définition du diabète, de l'hypertension et du cholestérol ont été revus à la baisse. Par exemple, jusqu'en 2000, le seuil de glycémie permettant de définir le diabète était de 1,4 g/l. Depuis 2000, il est passé à 1,26 g/l. Mieux encore, entre 1,1 et 1,26 g/l, on est désormais considéré comme "pré-diabétique".

Industrie de la maladie

Et voilà un nouveau marché, celui des "pré" : pré-diabète donc, mais aussi pré-hypertension, pré-dépression et pré-ostéoporose. Cette dernière concernerait la moitié des femmes âgées de 55 à 65 ans. "Or les médicaments contre l'ostéoporose ont un rapport bénéfice/risque défavorable pour ces personnes à faible risque que sont les femmes ménopausées", insiste le médecin pour qui ces patientes n'ont pas a être traitées. "En effet, sur 270 femmes atteintes de pré-ménopause prenant des médicaments pendant trois ans, un seule évitera une fracture vertébrale".

Cette médicalisation de la vie n'est pas sans conséquence sur le niveau d'angoisse individuelle et sociale, sur la croissance de la demande de soins et sur les coûts de la santé. "La Sécurité sociale dépense des milliards d'euros pour lutter contre la maladie et, dans le même temps, on crée des millions de malades supplémentaires... qui sont inévitablement source de dépenses supplémentaires", estime Sauveur Boukris, qui attaque principalement les laboratoires pharmaceutiques et les fabricants d'outils de dépistage, responsables d'une "véritable industrie de la maladie". Il n'est pas le premier à dénoncer ce système, qui perdure toujours. Jusqu'à quand ?