Comment "fabriquer" des malades
Par Benje le dimanche, janvier 27 2013, 00:16 - Société - Lien permanent
Dans son dernier ouvrage, le Dr Boukris dénonce la
manière dont l'industrie pharmaceutique participe à la création de
nouvelles maladies.
Par Anne Jeanblanc
"Tout bien portant est un malade qui
s'ignore", disait le docteur Knock. Une réplique que se réapproprie
aujourd'hui le docteur Sauveur Boukris selon qui "tout bien portant est
quelqu'un qui n'a pas eu de dépistage". Dans son dernier ouvrage, La fabrique des malades*,
il dénonce "la médecine marketing" et montre comment certains secteurs
médicaux, privés ou publics, jouent sur nos peurs, médicalisent nos vies
pour pratiquer davantage d'examens biologiques, de radiographies et
pour faire consommer toujours plus de médicaments. "Le marché de
la maladie s'étend et les profits des entreprises concernées
progressent", écrit le Dr Boukris. "La communication en direction des
médecins et des patients se fait plus agressive, plus sophistiquée et
utilise de nouveaux instruments. Lorsque les firmes pharmaceutiques
mettent au point et testent une molécule avec les cliniciens, elles en
déterminent les applications thérapeutiques et vont jusqu'à redéfinir
les pathologies visées. (...) En résumé, on construit des maladies pour
vendre des médicaments. Le médicament devient un 'objet technique'". Le
monde à l'envers...
Développer de nouveaux marchés
Pour
l'auteur, cette méthode marche particulièrement bien dans le domaine de
la psychiatrie. L'apparition des antidépresseurs aurait "façonné" le
diagnostic de la dépression, devenue "maladie du siècle". Puis de
nouveaux marchés ont été développés : les troubles anxieux ou encore le
syndrome post-traumatique. Un mécanisme identique a été retrouvé dans
les troubles de l'attention et l'hyperactivité qui "touchent"
aujourd'hui près de six millions d'enfants américains (contre moins de
500 000 dans les années 1970) ! Les troubles de la sexualité et
les maladies chroniques et/ou métaboliques (HTA, diabète, excès de
cholestérol...) sont aussi particulièrement concernés car ce sont des
affections à traitement de longue durée, souvent à vie. Et pour
augmenter le"cheptel" de malades, les critères de définition du diabète,
de l'hypertension et du cholestérol ont été revus à la baisse. Par
exemple, jusqu'en 2000, le seuil de glycémie permettant de définir le
diabète était de 1,4 g/l. Depuis 2000, il est passé à 1,26 g/l. Mieux
encore, entre 1,1 et 1,26 g/l, on est désormais considéré comme
"pré-diabétique".
Industrie de la maladie
Et voilà
un nouveau marché, celui des "pré" : pré-diabète donc, mais aussi
pré-hypertension, pré-dépression et pré-ostéoporose. Cette dernière
concernerait la moitié des femmes âgées de 55 à 65 ans. "Or les
médicaments contre l'ostéoporose ont un rapport bénéfice/risque
défavorable pour ces personnes à faible risque que sont les femmes
ménopausées", insiste le médecin pour qui ces patientes n'ont pas a être
traitées. "En effet, sur 270 femmes atteintes de pré-ménopause prenant
des médicaments pendant trois ans, un seule évitera une fracture
vertébrale". Cette médicalisation de la vie n'est pas sans
conséquence sur le niveau d'angoisse individuelle et sociale, sur la
croissance de la demande de soins et sur les coûts de la santé. "La
Sécurité sociale dépense des milliards d'euros pour lutter contre la
maladie et, dans le même temps, on crée des millions de malades
supplémentaires... qui sont inévitablement source de dépenses
supplémentaires", estime Sauveur Boukris, qui attaque principalement les
laboratoires pharmaceutiques et les fabricants d'outils de dépistage,
responsables d'une "véritable industrie de la maladie". Il n'est pas le
premier à dénoncer ce système, qui perdure toujours. Jusqu'à quand ?