Des criminels violents dont l'évaluation psychologique conclut à la psychopathie présentent plusieurs anomalies dans leur développement cérébral, dont un volume neuronal plus faible dans des zones associées aux émotions et au raisonnement moral. C'est ce que montrent plusieurs travaux en imagerie cérébrale auxquels a participé Sheilagh Hodgins, professeure au Département de psychiatrie de l'Université de Montréal et chercheuse au Centre de recherche Fernand-Seguin.

"Nous avons amorcé ces travaux à la suite de deux constats: les comportements violents débutent très tôt dans l'enfance et la réhabilitation ne réussit pas toujours à réduire l'agressivité. Si nous voulons améliorer l'effet des interventions durant l'enfance, il faut mieux comprendre les causes de ces comportements antisociaux agressifs et pour cela mieux connaitre les structures du cerveau qui les sous-tendent", explique la chercheuse.

Les intervenants auprès des jeunes ont déjà remarqué qu'il existe deux profils de personnalité violente: il y a le jeune qui se sent menacé et qui réagit de façon impulsive et celui qui exerce une violence délibérée et manipulatrice. Les deux profils risquent d'engendrer une personnalité antisociale, mais ceux qui se classent dans la seconde catégorie sont à risque d'être atteint du syndrome de la psychopathie, caractérisé par un manque d'empathie et de remords. Selon la professeure, 20 % des détenus des pénitenciers entrent dans cette catégorie. 

Moins de matière grise

L'équipe de Sheilagh Hodgins a voulu savoir si ces deux profils pouvaient être distingués sur le plan neurologique. Pour le vérifier, les chercheurs ont soumis à l'imagerie cérébrale deux groupes de criminels violents composés respectivement de contrevenants psychopathes et de contrevenants sans syndrome de psychopathie et un troisième groupe témoin, formé de sujets sans antécédent de violence. Les participants, tous de sexe masculin, étaient âgés de 20 à 50 ans.

Les résultats montrent que le cerveau des sujets psychopathes diffère significativement de celui des deux autres groupes par un plus faible volume de matière grise dans le cortex préfrontal antérieur et dans des zones des lobes temporaux. La matière grise étant le neurone lui-même, un volume plus faible peut vraisemblablement signifier moins de neurones. Les différences demeurent tout aussi importantes lorsque les sujets sont appariés selon l'âge, la consommation de drogue et le quotient intellectuel.

"Étant donné la fonction de ces structures cérébrales, les résultats sont conformes à nos attentes, mais nous ne savions pas si des différences allaient être observables par cette méthode, souligne Sheilagh Hodgins. C'est la première fois que de telles différences sont notées entre sujets violents avec et sans psychopathie."

Liées au système limbique, les zones en question jouent un rôle dans l'empathie, le raisonnement moral et les mécanismes d'inhibition comme le sentiment de culpabilité. Selon les chercheurs, les anomalies relevées peuvent entrainer un déficit dans l'acquisition de ces habiletés prosociales et conduire à la psychopathie ou du moins la maintenir.

Une étude antérieure avait par ailleurs montré que le déficit de matière grise dans les cortex préfrontal et orbitofrontal chez des personnes violentes semblait être associé à la consommation de drogue. Mais dans la présente étude, les résultats demeurent les mêmes lorsque les consommateurs de psychotropes sont retirés de l'échantillon. "Les différences ne peuvent pas être attribuées à l'usage des drogues", affirme la chercheuse. 

Observable dès l'enfance

Ces résultats viennent renforcer ceux de travaux effectués antérieurement chez des garçons violents âgés de 10 à 13 ans et présentant des tendances psychopathiques. En comparaison d'enfants non violents, ils ont une concentration de matière blanche plus faible dans le lobe frontal supérieur droit, dans une zone du lobe frontal droit et dans une zone du système limbique, révélée par l'imagerie cérébrale.

Le terme "matière blanche" désigne les axones des neurones et il est maintenant connu que les axones continuent de se développer jusqu'à l'âge adulte, processus qui semble être perturbé chez les garçons qui tendraient vers la psychopathie. Étant donné l'âge des sujets de cette étude, la consommation de stupéfiants comme cause possible du déficit de matière blanche est écartée.

Les résultats de l'ensemble de ces travaux montrent donc des développements anormaux dans diverses structures cérébrales en place avant l'âge adulte et résultant possiblement d'une maturation anormale du cerveau.

Aux yeux de la professeure Hodgins, cela confirme l'importance de distinguer les deux catégories de comportements antisociaux dès le jeune âge afin d'élaborer des modes d'intervention adaptés à chaque cas. "Le cerveau est comme un muscle qu'on peut transformer à l'aide de traitements appropriés; ce qui fonctionne avec un groupe ne fonctionnera pas avec l'autre. Il faut aussi savoir que la prédisposition à la violence est là depuis longtemps et que les comportements seront difficiles à changer", prévient-elle.

Ces travaux ont a été réalisés sur des sujets britanniques alors que Sheilagh Hodgins était professeure à l'Institut de psychiatrie du King's College de Londres. Elle estime que les résultats auraient été les mêmes si les travaux avaient été menés ici. "La psychopathie est partout la même", avoue la professeure.

Les résultats les plus récents relativement aux psychopathes adultes ont fait l'objet d'une publication dans le numéro de septembre 2012 des Archives of General Psychiatry et ceux concernant les enfants sont parus dans le numéro de mai 2011 de Molecular Psychiatry.