AVIS D'EXPERT - Les techniques actuelles de soin conduisent trop souvent à la perte de la dent, estime le Pr Jean-Jacques Lasfargues, de l'université Paris-Descartes.

En 2011, une déclaration des Nations unies mettait en exergue l'importance de la santé orale dans le cadre du contrôle et de la prévention des maladies non transmissibles. Parmi les différentes maladies orales, la carie dentaire - dont on connaît parfaitement au plan scientifique les mécanismes pathologiques et les moyens d'éradication - est encore un véritable fléau mondial. Très récemment, la Fédération dentaire internationale reconnaissait que, en dépit des efforts de la profession dentaire, la carie continuait de sévir à un niveau endémique dans le monde entier, exerçant un impact direct sur la qualité de vie des populations et indirect sur les économies nationales.

Face à ce constat, la nécessité de changer de système de prise en charge de la carie s'impose à tous les professionnels de santé, et ce indépendamment des systèmes de soins des différents pays. Le changement radical qui doit s'opérer est de substituer le traditionnel modèle curatif des soins dentaires, basé sur la réalisation d'obturations dentaires conduisant trop souvent à la perte de la dent, par un modèle préventif de soins non invasifs et mini-­invasifs, fondé sur la préservation de la substance dentaire.

Le rôle du chirurgien-dentiste ne se borne plus à réparer les dents endommagées par la carie. Sa compétence essentielle réside dans sa capacité à évaluer le risque de chaque patient de développer des caries et à traiter la maladie carieuse par des mesures de prévention primaires et secondaires: des soins dentaires dits a minima (scellement des sillons dentaires ; application topique d'agents de reminéralisation de l'émail dentaire ; micro-préparations dentaires…) et un suivi continu tout au long de la vie. Grâce à cette approche médicalisée, les patients, enfants et adultes, peuvent demeurer indemnes de carie.

Tout soin dentaire de qualité résulte d'un protocole opératoire

Si néanmoins des caries apparaissent du fait des aléas de la vie, elles seront interceptées rapidement avant qu'elles n'aient eu le temps de détruire profondément les tissus dentaires et d'engendrer des complications infectieuses, nécessitant de dévitaliser et couronner les dents.

Ainsi, la dentisterie contemporaine se caractérise par une pratique globale où la prévention et la restauration mini-invasive et esthétique des dents sont indissociables. C'est dans ce cadre médical plutôt que technique que se pose la question des moyens technologiques dont disposent les chirurgiens-dentistes, pour soigner les dents tout en les préservant

Les patients ne doivent pas considérer les procédés présentés comme des panacées, qui opèrent «vite et bien, sans anesthésie et sans risque». Ils peuvent comprendre que tout soin dentaire de qualité résulte d'un protocole opératoire répondant à des règles définies. C'est une réelle séquence thérapeutique que conduit le praticien, étape par étape, depuis l'identification de la lésion jusqu'à l'élimination du tissu pathologique et à la restitution intégrale de la fonction, de la forme et de l'aspect de la dent par un biomatériau mimétique des tissus dentaires. Ainsi les soins mini-­invasifs ou a minima ne sont ni plus rapides, ni plus simples, ni moins chers, car ils sont autant, sinon plus exigeants que les soins conventionnels.

Le praticien doit intervenir sous anesthésie locale indolore, en posant un champ opératoire en caoutchouc sur la dent (la digue) et en utilisant des aides optiques (des loupes binoculaires ou un microscope dentaire) comme le chirurgien ophtalmique ou le neurochirurgien. Le chirurgien-dentiste opère désormais non plus à l'échelle de la dent (objet déjà de petite taille) mais à l'échelle de la lésion de l'émail dentaire.

Des fraises miniatures en diamant ou en porcelaine

Pour éliminer les tissus cariés, l'instrumentation s'est considérablement diversifiée et améliorée. L'instrumentation rotative (ancienne roulette) demeure le standard du fait de sa précision extrême et de son bon rapport coût-efficacité. Aujourd'hui, les fraises se sont miniaturisées et sont désormais en diamant ou en porcelaine. Des instruments vibratoires munis de micro-embouts diamantés abrasifs permettent d'éliminer la zone cariée de façon très sélective sans détruire les tissus sains autour de la lésion (technique dite par sono-abrasion et non par fraisage).

Les lasers oraux sont plus adaptés au traitement des tissus mous (gencive, muqueuse buccale) qu'à celui des tissus durs calcifiés (émail et dentine). Ils ne remplacent pas les autres outils, mais peuvent aider le praticien à compléter ou améliorer les traitements. Ils sont très bien acceptés et demandés par les patients pour des raisons de confort, ce qui est tout à fait légitime, car ils opèrent sans douleur et sans vibration. Pour la carie, les applications concernent la détection des lésions carieuses au stade précoce par fluorescence. Il est possible d'utiliser les lasers erbium pour l'éviction carieuse a minima en particulier au niveau des sillons des molaires. Le coût très élevé des lasers constitue un obstacle majeur à leur diffusion, pour des soins dentaires qui peuvent être réalisés avec une qualité au moins équivalente et à moindre coût avec l'instrumentation déjà citée.

Finalement, les micro-préparations dentaires, quel que soit l'outil utilisé pour les réaliser, doivent être comblées par des matériaux esthétiques (les composites dentaires) qui sont directement collés et polymérisés sur la dent. Cette dernière partie du soin est capitale pour obtenir une obturation étanche capable de s'opposer de façon durable à une nouvelle pénétration des bactéries cariogènes dans les tissus dentaires.

Ces avancées technologiques doivent s'intégrer plus largement dans la pratique quotidienne du chirurgien-dentiste. Combinées avec le diagnostic précis et précoce des caries et le contrôle des facteurs de risques, elles permettent désormais de soigner efficacement la lésion carieuse sans détruire du tissu dentaire sain, réalisant ainsi le rêve des pionniers de la dentisterie pour le plus grand bénéfice des patients.