Alice Coffin - TÉLÉVISION - Qui ne s’est pas déjà énervé en écoutant France Info ou Europe 1, TF1 ou M6 contre les intonations artificielles des journalistes? «20 minutes» a cherché à comprendre pourquoi ils et elles parlent si bizarrement parfois…

Mais pourquoi certains journalistes télé et radio s'expriment-ils avec ces intonations trop marquées, ce phrasé peu naturel, ces respirations et reprises de souffle artificielles? Pour comprendre d'où sourdent ces voix si mécaniques, 20 Minutes a interrogé les formateurs des spécialités télé et radio des écoles de journalisme, eux-mêmes souvent journalistes.

Les écoles de journalisme ne formatent pas les voix

«Ce n'est pas nous!», s'exclame Eric Schings, responsable de la spécialité TV du Cuej (Centre universitaire d'enseignement du journalisme). «Je n'ai jamais demandé à un intervenant de faire en sorte que la voix des élèves à la fin d'une formation sonne comme ci ou comme cela. Nous n'avons du reste pas le pouvoir de formater des étudiants, on ne les a pas entre les mains suffisamment longtemps!» Son homologue au CFJ (Centre de formation des journalistes), Olivier Siou, confirme. «On leur explique au contraire qu'il faut sortir du lot, avoir une voix identifiable. On lutte contre les stéréotypes d'expression, comme les "bref une affaire à suivre", autant que contre les manies de faire des phrases descendantes, cette espèce de façon de faire retomber sa voix en fin de phrase.» Même combat chez Marlene Anconina-Mazaud, la consultante voix et expression orale de l'ESJ (Ecole supérieure de journalisme). «C'est ma guerre, résume-t-elle. Mais j'ai l'impression d'être Don Quichotte et de me battre contre des moulins à vent». 

A «Sept à Huit» on laisse «les phrases en l'air»

Elle aussi peine à trouver la provenance de ce qu’elle qualifie «d’intonations ridicules, de modulations dont se sont emparés les amuseurs». Si ce n’est pas pendant leur formation, où les journalistes télé et radio prennent-ils l’accent? «J’ai peur qu’il y ait des demandes des chaînes, avance Marlène Anconina-Mazaud. Quand je réentends des étudiants qui avaient de belles qualités vocales à l’école dix ans plus tard laisser par exemple leurs phrases en l’air comme cela se fait dans Sept à Huit, je trouve ça terrible. Car le problème est que cela décrédibilise le fond».

C'est pas moi c'est le producteur

Pourtant, elle nuance aussitôt cette responsabilité des diffuseurs ou des producteurs d’émission: «J’ai donné des cours dans beaucoup d’endroits, un jour je me suis retrouvée devant des journalistes de M6. Je les écoute et je leur dis: s’il-vous-plaît ne faites pas cela, c’est ridicule, personne ne parle comme cela. Ils me disent "mais c’est les producteurs qui nous le demandent". Comme je savais que le producteur était dans le coin, je suis allée le chercher, et il leur  a dit: "mais jamais de la vie, c’est eux qui croient qu’il faut faire ainsi car ce sont des espèces de modulations historiques!

La voix M6 plus que le ton RTL

«Historiques» ou du moins passées dans les voix courantes. «Je pense qu’il y a une question de mimétisme, assure Olivier Siou. C’est une espèce de retour du refoulé, lorsqu’ils arrivent dans les rédactions, les étudiants pensent que pour faire pro, il faut faire ce qu’ils estiment être comme tout le monde. Et «comme tout le monde», selon Cécile Varin, formatrice à l’EJT (Ecole de journalisme de Toulouse), «c’est beaucoup la culture M6 dans leur génération. Il y a une question de background, les étudiants ont en tête des voix. Il se trouve par exemple qu’ils ont très peu de culture vocale de la radio. Si je prends une  dépêche que je leur dis lisez-la moi en style M6, ils y arrivent parfaitement. Si je leur dis faites-la moi en RTL, impossible. Cela joue aussi dans le type d’intonation qu’ils vont prendre». 

Les accents bientôt à l’honneur

Olivier Siou estime, toutefois, que «cela va changer»: «Avec le ronronnement imposé par les chaînes infos, ceux qui vont se distinguer seront ceux qui ne sont pas interchangeables. Je le vois à France Télévisions où on valorise par exemple, désormais, les accents».

Difficile donc de comprendre comment on arrive à des résultats parfois si comiques. Mais Cécile Varin tient à ce qu’on ne se moque pas trop vite. « Le travail sur la voix est quelque chose de très compliqué. Le naturel demande beaucoup de travail. Le naturel finalement c’est de la convention, c’est du théâtre mais un vrai faux naturel, mais c’est très fragile, cela peut basculer. En dehors des vraies caricatures de grosses voix qui font du suspens artificiel, souvent lorsque le ton énerve, c’est juste que l’exercice est raté!»