Par Pierre Le Hir

Les professionnels sont unanimes : "Ça bouge dans la géothermie." Ils ne parlent pas des pompes à chaleur pour maisons individuelles ou bâtiments collectifs. Ni des réseaux de chaleur urbains, dont le Bassin parisien réunit la plus forte concentration au monde. Deux domaines où la France a acquis une expertise qui fait de cette ressource la troisième énergie renouvelable de l'Hexagone, après la biomasse et l'hydraulique.

C'est de géothermie à haute température (150 °C ou plus) dont il est question. Celle qui va puiser dans les entrailles de la Terre, à plusieurs kilomètres de profondeur, les calories issues de la désintégration des éléments radioactifs présents dans la roche, pour produire de l'électricité ou de la chaleur.

Fin février, la ministre de l'écologie et de l'énergie, Delphine Batho, a signé deux nouveaux permis exclusifs de recherche : le premier, délivré à la société Electerre de France, dans la zone de Chaudes-Aigues-Coren (Cantal et Lozère), le second, attribué à Fonroche, dans le secteur de Pau-Tarbes (Pyrénées-Atlantiques et Hautes-Pyrénées). "Dix-huit demandes sont actuellement en cours d'instruction", indique le ministère. Quatre permis avaient déjà été accordés ces dernières années, l'un en Auvergne, les trois autres en Alsace. Et, depuis quelques jours, quatre autres, en Alsace également, sont soumis à la consultation du public, cette activité étant strictement encadrée par le code minier, le code de l'environnement et le code de la santé publique.

NOUVELLE FILIÈRE ÉNERGÉTIQUE

Cette effervescence pourrait marquer l'émergence d'une nouvelle filière énergétique. La géothermie à haute température a d'abord exploité les aquifères brûlants (jusqu'à 350 °C) des régions volcaniques actives. C'est la raison pour laquelle elle s'est développée sur la Côte ouest des Etats-Unis, en Indonésie, aux Philippines, au Japon ou, sur le continent européen, en Italie et en Islande, avec une capacité de production électrique totale de 11 000 mégawatts (MW). La France ne compte qu'une installation de ce type, en Guadeloupe, sur la commune bien nommée de Bouillante, où une centrale de 15 MW fournit 8 % de l'électricité de l'archipel.

Les industriels explorent aujourd'hui une voie différente, ouverte par un programme européen mené à Soultz-sous-Forêts (Bas-Rhin) et devenu une référence mondiale. Le principe consiste à pomper par un puits, à 5 000 mètres de profondeur, de l'eau à 200 °C. En surface, un échangeur thermique la transforme en vapeur entraînant une turbine électrique, avec une cogénération possible de chaleur. L'eau, refroidie à 70 °C est ensuite réinjectée, par un puits séparé, dans le sous-sol, où elle se réchauffe avant d'être pompée à nouveau.

Fonroche, qui a obtenu, à Pau-Tarbes, un permis sur une zone de 1 000 km², va ainsi forer jusqu'à 6 000 m, dans l'espoir de mettre en service, en 2016, une centrale de 5 MW électriques et 15 MW thermiques. Coût de ce démonstrateur : 80 millions d'euros, dont la moitié pourrait être financée par les "investissements d'avenir".

"La géothermie est la seule énergie renouvelable disponible en permanence, sans les intermittences du solaire ou de l'éolien", défend son directeur, Jean-Philippe Soulé. Cela, "à un coût avantageux pour la collectivité" et "en évitant le rejet de 60 000 tonnes de CO2 par an pour une installation standard". Selon lui, la France dispose d'un potentiel de 2 700 MW d'électricité géothermique, l'équivalent de trois réacteurs nucléaires.

Du fossé rhénan au Bassin aquitain, en passant par le Massif central ou le couloir rhodanien, le sous-sol français compte de vastes territoires propices à l'extraction de la chaleur profonde. "Il reste encore des verrous technologiques et économiques à lever, mais l'énergie géothermique a un fort potentiel de développement", est persuadé Romain Vernier, directeur du département géothermie du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM).

"AUTONOMIE ÉNERGÉTIQUE"

"Dans les territoires d'outre-mer, la géothermie à haute température peut permettre, en complément du solaire et de l'éolien, d'atteindre l'autonomie énergétique. En métropole, elle restera relativement marginale, mais la France doit mettre le paquet pour exporter sa technologie", ajoute Elsa Demangeon, du Syndicat des énergies renouvelables (SER). Celui-ci chiffre à plus d'une centaine les entreprises françaises du secteur et à 11 500 les emplois actuels, toutes formes de géothermies confondues.

Pour sortir de terre, la géothermie profonde doit toutefois réduire son impact environnemental. Car les techniques mises en œuvre ne sont pas sans risques. La "stimulation" de la roche utilisée pour accroître les débits d'eau peut provoquer des milliers de microséismes. A Soultz-sous-Forêts, le plus fort, d'une magnitude de 2,9, a suscité de nombreuses plaintes des riverains. En Suisse, la ville de Bâle a renoncé à un forage à la suite d'une série de secousses qui avaient endommagé des bâtiments et semé la panique dans la population.

En outre, les eaux souterraines remontées à la surface sont chargées en sel (plus de 100 grammes par litre à Soultz) mais aussi en sulfures et en métaux lourds toxiques, comme l'arsenic ou le plomb, ainsi qu'en radioéléments. Il faut donc éviter, par des tubages multiples, que des fuites ne polluent les nappes phréatiques. De surcroît, certains fluides utilisés dans les échangeurs thermiques présentent un danger, comme l'isobutane, inflammable et explosif, ou l'ammoniac, toxique.

Même si les industriels travaillent à des alternatives plus "douces", nul doute que la géothermie des grandes profondeurs sera placée, par les associations environnementales, sous haute surveillance.